samedi 24 janvier 2015

9) La première gelée. (2021)


Peut-être connaissez-vous le livre de Philippe Delerm intitulé '' La première gorgée de bière. '' ?

Pour nous autres SUPers du nord de la France, la première gelée de l'automne a elle aussi une saveur bien particulière. Dans nos inconscients, elle marque la fin des étouffantes sessions d'été, de celles où nous portons un chapeau pour nous protéger de la morsure du soleil et où nous nous jetons parfois volontairement à l'eau pour nous rafraîchir. Mais elle annonce surtout les retours des premiers froids et avec eux, la nécessité de porter une combinaison de 5/3 mm d'épaisseur, éventuellement accompagnée d'une cagoule et de chaussons. Bref, tout l'attirail d' un viking moderne !

Nous n'en sommes heureusement pas encore là en ce samedi 16 octobre 2010. Aujourd'hui, le vent du nord a soufflé à plus de 20 noeuds pendant une bonne partie de l'après-midi sur la plage de Blonville sur mer dans le Calvados. Lorsqu'il a viré au nord-est en fin de journée, prenant une direction side off shore tribord et en creusant les vagues, nous nous sommes tous dit en dégréant nos voiles de windsurf ou en rangeant nos ailes de kite qu'il y aurait sûrement une bonne session de SUPsurfing à faire le lendemain matin de bonne heure...

Dimanche 17/10/2010, 7 h 00, -1°c....

Le réveil qui sonne me sort du sommeil et de mes rêves de pics parfaits en Indonésie, bien aidé en cela par le coq du voisin qui se met à pousser la chansonnette à la vue des premières lueurs du jour. Le temps de sauter dans un short Ben Aïpa et d'enfiler mon sweat Rip Curl, me voilà en train de consulter fiévreusement le site www.swell-line.com.

La bouée Manche-est est bien descendue par rapport à hier mais elle affiche encore 1 mètre de houle et 15 noeuds d'est au large du méridien de Greenwich. Ca doit le faire ! J'ingurgite rapidement quelques céréales et un verre de jus d'orange, jette mon sac contenant mon matériel et une pagaie dans le coffre de la voiture, et après un grattage express du pare-brise, c'est parti pour une nouvelle ''Dawn Patrol'' !

D'habitude à cette heure, il n'y a pas grand monde sur la route mais là, c'est vraiment le désert. Il n'y a pas un chat sur le bitume et pour cause, les raffineries du pays sont bloquées par des manifestants : on se bousculait encore hier dans les stations services pour se procurer quelques litres d'essence.

Arrivé au club, je distingue dans la pénombre quelques jolies séries qui déferlent en lignes bien rangées. C'est petit, de l'ordre de 80 cm. J'hésite un instant à rejoindre les amis rideurs qui doivent être en train de se mettre à l'eau à Trouville, car c'est toujours un peu plus gros au pied de la jetée par cette orientation. Mais j'ai la flemme de charger mes Naish sur le toit de ma voiture et finalement, je décide de rester à Blonville et de m'offrir une session en solo, d'autant que la Bic Jungle 10'10 de ma femme m'attend sagement dans le local du centre nautique où règne une douce température de 17 °C...

Après un sérieux échauffement dans le but d'éviter une blessure lors des premières manoeuvres, c'est la mise à l'eau devant la digue, avec les rayons du soleil qui passent par dessus les villas du bord de mer et qui me réchauffent le dos. Il fait maintenant 3°C, et heureusement, il n'y a pas un gramme de vent pour abaisser cette douce température !

La ''Biquette'', shapée par Gérard Dabaddie en collaboration avec Sergio Munari, est parfaite dans ce genre de conditions si vous avez bien sûr décidé de la rider tranquillement. Il ne faut pas trop lui en demander question verticalité lors des top turns mais elle démarre de très loin sur la houle, et son inertie, son double concave et ses bevels lui permettent d'assurer de longs rides tout en glisse dans un style longboard.

Vers 8 h 30, les joggers du dimanche commencent à envahir la plage et les premiers promeneurs allongent le pas en direction du marché couvert. Alors que j'observe au loin le cap de la Hève, un étrange sentiment m'envahit lorsque je découvre que la mer est vide de bateaux !

De ma position haute, j'aperçois bien le ferry de Ouistreham qui fait demi-tour pour prendre ensuite la direction de l'Angleterre (je vous conseille de l' attendre au retour pour surfer sa vague d'étrave qui vient déferler en bord de plage, vraiment sympathique !). Ou encore les cargos ancrés dans le rade de la Carrosse, au large du Havre, et qui attendent que les cours de la Bourse soient favorables pour remonter la Seine et livrer leur cargaison de céréales dans le port de Rouen, mais aucun voilier ni bateau de pêche à l' horizon.

Il faut dire que demain se tient à Deauville le G3, ce sommet international pendant lequel se réuniront Nicolas Sarkozy, la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dimitri Medvedef. La ville ressemble donc un peu à la Corée du Nord, avec ses rues bloquées, ses barbelés, ses lances-missiles installés sur le sommet du Mont-Canisy et sa zone du front de mer dite ''sanctuarisée''. Partout, cela grouille de CRS, de policiers en civils et de motards de la Gendarmerie. Certains étudiants ayant de plus annoncé leur intention de venir manifester leur opposition à la réforme des retraites, les autorités craignent donc des débordements. L'espace aérien a été fermé autour de l'aéroport de Saint-Gatien, et plusieurs batîments de la Marine Nationale doivent arriver demain. Cela ne m'étonnerait pas que quelques sous-marins stratégiques patrouillent à proximité du rivage.

C'est alors que j'aperçois une forme noire qui émerge à quelques dizaines de mètres... Ouf ! Ce n'est que Bernie, un gros phoque noir qui se promène régulièrement entre Honfleur et Cabourg, et qui vient souvent faire un petit coucou aux SUPeurs et aux baigneurs. J'entends distinctement son souffle rauque alors qu'il reprend sa respiration avant une nouvelle plongée, et après quelques pirouettes aquatiques, il semble qu'il en ait fini de jouer avec moi.

Allez, encore un ou deux rollers sur les séries avant que le vent ne se lève et viennent friper le plan d'eau à mi-marée, et il sera temps pour moi de rentrer au sec. En remontant sur la digue, j'ai droit à la sempiternelle question de la part d'un touriste parisien : ''Dites donc jeune homme, c'est quoi votre truc, du kayak ?''... ''Euh, ben non M'sieur, c'est du surf !''.

Au moment de repartir vers 10 h 15, le thermomètre de mon break indique une température de 11°C. Elle montera jusqu'à 21°C à l'abri du vent dans le courant de l'après-midi, à la faveur d'un ciel dégagé digne d'un été indien. Après tout, soyons optimistes, les grands froids hivernaux sont peut-être encore bien loin...

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