samedi 24 janvier 2015

13) Le miraculé. (2021)


Criel, Seine-Maritime, France, un samedi de novembre 1987, 12 h 28.

Sacrée conditions aujourd'hui ! Le vent souffle fort, avec des rafales atteignant les 35 noeuds. La mer n'est pas encore très grosse, mais à marée haute ce matin de bonne heure, elle montait déjà au dessus des galets du cordon littoral et venait envahir la route du bord de mer. En descendant dans mon garage, j'ai eu la désagréable surprise de découvrir mon matériel flottant dans plus de 20 cm d'eau, et par précaution, je suis allé garer ma voiture loin du rivage !

Il faut vous préciser que je réside à une trentaine de mètres de la plage de Criel sur mer, qui est la commune de Seine-Maritime où l'érosion est la plus importante en Europe. Chaque année, les falaises reculent d'une dizaine de centimètres, et on ne compte plus les maisons qui tombent dans le vide, ou qui sont laissées à l'abandon par leurs habitants effrayés à l'idée de faire le grand saut... Les nombreux ouvrages construits tout le long de la côte d'Albâtre (jetées, centrales nucléaires, etc) sont en partie responsables de ce problème : elles empêchent une migration régulière des galets depuis le Havre jusqu'au Tréport, et laissent certaines plages exsangues de ces protections naturelles contre les éléments marins.

Les prévisions météorologiques prévoient un renforcement du vent pour cet après-midi, avec un rotation de celui-ci à l'ouest en fin de marée montante. J'ai navigué mercredi en compagnie de tous les rideurs locaux de Saint-Aubin, comme Jeannot Van Heeg, Jean-Christophe Massac, le postier rouennais qui travaille la nuit au centre de tri et qui navigue le jour (Eh JC ! Quand-est-ce que tu dors ???), ou encore Patrick Emo, le vieux gardien du temple. Nous avons eu de très belles conditions, avec un vent d'ouest-sud-ouest de force 5 à 6 et des vagues de 2 mètres certes un peu molles mais idéales pour enchaîner high jumps et surfs frontside pendant des heures.

Aussi, l'idée de me faire atomiser aujourd'hui en 3.6 m² dans un vent side on shore ne m'enchante guère, et je décide finalement de rester sagement à la maison et regarder la retransmission d'un test-match du XV de France. Sage décision...

Saint-Aubin, Seine-Maritime, France, lendemain du samedi, 13 h 40.

Il règne une drôle d'atmosphère sur le parking où viennent se garer les planchistes du dimanche, entre le bar-épicerie et la digue-promenade. Et pour cause ! Nous avons vécu sur ce spot des émotions intenses. Comme la Surf Océan Wave Classic, la première compétition de funboard organisée sur le spot et qui a regroupé plus de 40 participants pour un slalom acharné au cours duquel notre Greg régional s'est imposé haut la main en nous rappelant que pour le battre, il aurait fallu que l'on navigue "avec le frein à main desserré". Mais aussi une très belle épreuve de vagues suivi d'une soirée mémorable, ou bien des moments plus galères, comme le jour où Jeannot van Heeg a cassé son pied de mât sur l'outside reef, à plus de 2 km au large.

Celui-ci ne fonctionne qu'à l'occasion des très grosses houles qui rentrent en Manche, et ce jour là, c'est une belle chaîne de solidarité qui s'est organisée naturellement. Chacun des windsurfeurs présents a ramené à terre une pièce de l'équipement du malheureux, pendant que je le tractais jusqu'au rivage allongé sur son flotteur et accroché à mon footstrap arrière par l'intermédiaire d'un tire-veille. Cette mésaventure s'est donc bien terminée, tout comme celle qui est arrivée hier à un rideur Rouennais et qui, elle, aurait pu se finir beaucoup plus mal...

Le jeune homme s'est mis à l'eau hier en compagnie de quelques autres passionnés aux environs de 14 h 00, par un vent de sud-ouest de 30 noeuds et une marée montante, avec une planche de vague et une voile de 4.2 m² . Comme le vent était un peu off shore et les vagues raisonnables, les planchistes présents ce jour-là sont allés chercher du vent plus régulier au large. Il faut préciser que sur les spots de Seine-Maritime, naviguer à marée haute les jours de forte est quasi-suicidaire : vous avez toutes les chances de finir broyé vous et votre matériel dans le shore break sous 2 tonnes de galets !

A la fin de la marée montante, alors que la plupart des planchistes allaient rentrer à terre pour des raisons de sécurité, un grain monstrueux s'est abattu sur la plage. Rotation du vent à l'ouest, side on shore, rafales à 50 noeuds, mer tout à coup en furie, et donc dérive à la vitesse grand V sous le vent, vers les falaises... Les plus chanceux ont été poussés vers la plage, d'autres encore ont fini dans les blocs, à la limite entre les falaises et la valleuse, et ont pu regagner indemne la digue-promenade en marchant avant que la mer ne soit complètement haute. Pas notre jeune homme!

Celui-ci a été entraîné en direction du la plage de Quiberville mais il malheureusement s'est retrouvé coincé au pied des falaises entre celle-ci et celle de Saint-Aubin. Pour ne pas périr noyé, il a eu la présence d'esprit de rentrer dans une petite grotte, comme celles que vous pouvez admirer aux alentours d'Etretat. Par chance, le coefficient de marée n'était pas trop élevé : il a donc pu y attendre que le niveau de l'eau redescende...

Vers 18 h 00, les pompiers et sauveteurs dépêchés en urgence sur place ont eu le bonheur de voir arriver à pied une silhouette hirsute en combinaison sortant tel un homme de Néandertal sortant de sa caverne, laquelle a déclaré transie de froid et terrorisée qu'elle n'envisageait pas de remonter sur une planche à voile dans un avenir proche...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire