samedi 24 janvier 2015

21) Mister Polakov. (2021)


Paia, Maui, Hawaii, juillet 1992, 14 h 26.

Me voici dans le bureau de Paul Ehmann, l'un des hommes qui président aux destinées de la Coupe du Monde de Funboard. Celui-ci est situé au dessus du magasin de Doug Hunt, le premier homme au monde à avoir tourné un backloop armé de sa Neil Pryde et d'un custom personnel à la déco zébrée comme un requin-tigre et donc reconnaissable entre mille. Comme le dit Paul : ''il y a pire comme lieu de travail !''.


Dans 10 jours, le Suisse va organiser sur le spot d'Hookipa les sélectives de l'Aloha Classic Maui, les fameux  Trials de la finale de la World Cup, et qui vont permettrent aux rideurs locaux d'en découdre. Le vainqueur aura l'immense honneur et le privilège d'intégrer le tableau final de la dernière épreuve du World Tour qui se tiendra ici-même en octobre, et de se mesurer à des garçons comme Robby Naish, Mark Angulo, Bjorn Dunkerbeck, ou encore Dave Kalama.

Lorsque j'explique à Paul que je souhaite participer à la compétition, il m'annonce que celle-ci est réservée avant tout aux ''local résidents'' et que de toutes façons, j'arrive trop tard. La liste des participants est close mais il me place quand même sur liste d'attente, en deuxième position. ''Sois présent sur la plage le jour de la compétition : s'il y a des désistement ou des rideurs blessés et donc dans l'incapacité d'aller à l'eau, tu pourras participer ! ''


Hookipa Beach Park, Hawaii, juillet 1992, 10 h 25.


Les conditions sont excellentes en ce jour de trials. L'alizé souffle déjà à un bon 25 noeuds, et les vagues prévues par la météo U.S à  2-3 pieds font un joli mètre cinquante. Il faut préciser que l'hawaïen mesure la taille d'une vague... derrière celle-ci !


Hier, une petite brise irrégulière soufflait légèrement de terre, et j'ai partagé le peak avec seulement Angela Cochran et deux de ses amies, entourés par des surfeurs vociférant des injures à chacun de nos bottoms. Aujourd'hui, le spot fonctionne à plein régime. Il règne une certaine tension sur la plage. Pour certains locaux, c'est maintenant ou jamais l'occasion de faire leurs preuves sur cette plage mythique, et de pouvoir accéder sous les yeux de leur famille et de leurs amis au Main Event en compagnie des meilleurs mondiaux.

J'ai gréé une 4.7 m², et l'organisation envoie tous les coureurs en même temps pour une bonne demi-heure d'échauffement. Soudain, c'est Beyrouth ! Le spot d'Hookipa comprend quatre peaks bien définis :


- Pavillon, complètement au vent près de la pointe rocheurse, où évoluent les surfeurs et où la pratique du windsurf est interdite,


- Middle, situé comme son l'indique à mi-chemin entre Pavillon et les fameux "rocks" où plus d'un planchiste a laissé pour des centaines de dollars de matériel,


- H'Poko Point ou Main Peak, LA vague découverte et rendue célèbre par Mike Waltze et Malte Simmer dans les années 80,


- et enfin Lanes, sous le vent de la butte bien connue, et où s'installent souvent de nombreux photographes.


Hormis 5 ou 6 rideurs qui comme moi travaillent tranquillement leurs trajectoires au surf sur le pic de Middle, les 32 compétiteurs s'agglutinent sur le peak principal. A cet endroit, la vague creuse au dessus d'une grosse patate de corail et elle permet d'envoyer un puissant aérial ou de s'envoler à une hauteur respectable afin d'y tourner un loop et commencer déjà à impressionner les juges qui prennent place dans leur cabine.


Un certain Dave Osborne sort du lot et fait le show. C'est un local qui bosse à la "Cannery", une ancienne usine de canne à sucre désaffectée et reconvertie en "windsurf factory" sur les hauteurs de Haïku. On y trouve entre autres l'atelier de shape de Jimmy Lewis, le loft Gaastra Sails ou encore les bureaux d'étude des ailerons Maui Fin company. " Magic" Dave est déchaîné : il pose à la perfection 2 forwards verticaux et 2 high backloops par bord, et inutile de vous dire que l'animal n'est pas manchot en surf.


Francesco Goya impressionne également,avec des cutbacks bien slashés dans un style très chaloupé, et le jeune Josh Angulo se fait aussi remarquer. Quelques inconnus, donc le matériel ne présente aucun signe distinctif, font aussi parler la poudre, et finiraient assurément dans le top 5 de n'importe quelle épreuve de vagues organisées en France !


Il faut être sur ses gardes quand on arrive à pleine vitesse dans la zone d'impact, car il y a en permanence quelqu'un dans les airs à proximité, et je me demande encore aujourd'hui comment il n'y pas eu un accident ! Une fois tout ce beau petit monde rentré à terre, c'est parti pour les premiers tours de la compétitions.


C'est malheureusement raté pour moi : il n'y a pas de blessé ni d'absent, et je resterai donc sagement sur la plage aujourd'hui ! Dès le début du premier heat, l'ambiance devient beaucoup plus détendue, et un public souriant se met à encourager les coureurs  en poussant des cris d'admiration à chaque fois qu'ils réussissent une belle manoeuvre.


Discrètement, un certain Jason Polakow vient garer son pick-up bourré de matériel sur le petit parking en terre rouge. Après avoir observé le spot quelques minutes derrière ses lunettes noires, il déroule sur l'herbe une voile de 5 m², qu'il grée nonchalamment sur l'un de ses mâts full carbone puis raccorde le tout à un flotteur de vague d'environ 70 litres. A peine la trompe indiquant la fin d'une manche a-t-elle sonné que l'animal se précipite dans le légendaire shorebreak. Nous n'avons pas le droit de nous remettre à l'eau entre 2 heats afin de ne pas perturber le déroulement de l'épreuve, mais le jeune trentenaire ne participe pas à la compétition, et bien que la plage soit réservée aujourd'hui aux trials, personne n'ose aller lui dire quoi que ce soit...


Le silence se fait tout à coup sur la plage, même mes voisins italiens gardant pour une fois leur langue dans leur poche. En quelques mètres, il part au planning et atteint une vitesse supersonique, puis décroche plein largue à l'approche de la barre tel un chasseur-bombardier. Son premier jump est stratosphérique, un backloop sans échauffement à près de 7 mètres d'altitude, et les grincheux argueront du fait qu'il a "un peu" mis les fesses dans l'eau lors de la réception. Il a du les entendre, car il enchaîne immédiatement avec un high jump parfaitement contrôlé puis jibe sur une vague quelconque de la série, et revient près du rivage sans faire quoi que ce soit en surf. Curieux... Duck jibe boom to boom à la vitesse de l'éclair puis il remet le couvert avec un second back loop encore plus haut que le précédent et cette fois-ci posé sec !


On ne le reverra pas, Mister Polakow descendant alors sous le vent pour aller naviguer peinard sur le pic de Lanes. Une partie du public va alors le suivre et se déplacer sur la butte afin d'observer ses évolutions tout en gardant un oeil attentif sur la suite de la compétition.


Pour ceux qui s'inquiéterait de la bonne santé mentale de l'australien volant, sachez qu'il a ensuite régalé l'assistance une bonne partie de l'après-midi avec des surfs bakside et frontside venus d'une autre planète !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire