samedi 24 janvier 2015

Préface (2021)


Que l'on soit surfeur, windsurfeur ou SUPsurfeur, nous avons tous en mémoire des sessions magiques et des anecdotes croustillantes récoltées sur son home spot ou bien à l'autre bout du monde...

Alors après plus de 35 années passées à parcourir la planète à la recherche de la houle et  à écrire des articles pour divers magazines consacrés aux sports de glisse, il était temps pour moi de rédiger quelques ''Vagues Souvenirs'' !

Vous trouverez donc ci-dessous 30 récits provenant des spots de Normandie, de France ou d'ailleurs, sur lesquels j'ai pu profiter du swell, que ce soit sur une planche de surf, de windsurf ou de SUP. Ce livre est dédié à tous les rideurs, amis, anonymes ou champions, que j'ai eu la chance d'y côtoyer et toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est donc tout sauf une pure coïncidence ! 

Bonne lecture, à l'ombre d'un palmier sur la plage ou confortablement installé près d'un feu de cheminée... après une bonne session bien sûr !

Fabrice Scolan

NB: La réalisation de cet ouvrage est à but non lucratif. Si vous avez passé un agréable moment lors de sa lecture gratuite, je vous remercie de faire un don même modeste à une association caritative ou reconnue d'utilité publique comme par exemple la Surfrider Foundation Europe, la Ligue contre le Cancer, la Fédération Française de Cardiologie, les Restaurants du Coeur, etc.

1) Sacré Robert ! (2021)


Plage d'El Médano, Ténérife, Canaries, juillet 1995, 11 h 45.

La caravane du World Tour vient de poser ses valises sur le spot d'El Médano au sud de l'île. Depuis une semaine, les conditions sont excellentes. Le vent side légèrement  onshore oscille tous les jours entre 20 et 30 noeuds, et les vagues rentrent à un bon mètre cinquante. Les compétiteurs engagés s'activent sévèrement dans le parc coureur en vue de l'épreuve des Vagues ! Josh Angulo prépare du mastic epoxy à prise rapide afin de boucher au plus vite une grosse fissure sur le nose de sa nouvelle planche au shape novateur de type fish. Josh Stone, lui, est confronté à un choix cornélien. Il hésite entre trois tailles de voile pour aller s'échauffer à grands coups de forwards bien verticaux : 4.7, 5.0 ou 5.3 ? Après 15 bonnes minutes de réflexion et quelques allers-retours entre la tente contenant son matériel et la plage, il optera finalement pour sa 5 m² Neil Pryde Combat : la vie de rider professionnel n'est pas facile tous les jours mon bon monsieur !

Le tirage au sort n'a pas été tendre avec Patrice Belbeoch et Robert Téritéhau. Les deux français vont devoir s'affronter dans un duel fratricide d'ici une demi-heure en huitième de finale, et plutôt que de retourner jouer sur la jolie petite vague qui déferle à proximité de la digue du port et qui autorise de bons surfs frontside, je décide de m'assoir sur un rocher pour assister à ce heat. Les deux hommes ont tout à perdre dans cette manche, et chez Robert, la tension est palpable. En bon breton fier comme du granit, Patrice ne laisse rien transparaître concernant son stress mais cela semble bouillonner aussi pas mal à l'intérieur...

Coup de trompe et top départ pour les deux rideurs qui s'élancent de concert vers le large pour y envoyer leur première rotation. La manche est plutôt équilibrée. Robert saute sur tout ce qui bouge, envoie du late front loop à tous les étages et un très beau table top one hand mais il néglige un peu ses surfs fronside. Il faut dire que réussir un aérial off the lip sur ce spot est loin d'être évident, car le vent est un peu on shore et les vagues parfois de travers. Alors notre Calédonien de service en rajoute une couche en rentrant un 360° voile + flotteur sur la vague, et plusieurs duck jibes très appuyés dans l'inside. En saut, le grand Belbe est moins impressionnant que d'habitude, et bien qu'il retombe toujours sur ses pattes comme un chat, ses réceptions de backloop ne sont pas aussi parfaites que sur son home spot de la Palue sur la presqu'île de Crozon. A l'image d'un Robby Naish toujours armé de sa Gaastra rose fétiche et d'un bon vieux custom en polyester shapé par Harold Iggy, il est par contre beaucoup plus consistant en surf, choisissant avec application le moment où l'épaule va s'effondrer pour y effectuer plusieurs cutbacks successifs qui vont faire la différence auprès des juges...

Tableau d'affichage de la World Cup, 13 h 05.

Le verdict tombe enfin. And the winner is ...Patrice Belbeoch ! Celui-ci est franchement désolé pour Robert et il le félicite néanmoins pour sa belle prestation. Le Caldoche est défait, les larmes aux bords des yeux, et une fois le breton parti, il laisse exploser sa colère et sa déception. Il bouscule violemment une chaise et comme j'ai le malheur de traîner près du panneau des résultats, il me prend à parti.

- Robert T : '' Purée, c'est pas vrai, tu as bien vu la manche quand même, comment se fait-il que j'ai perdu ? J'ai été bien meilleur que Patrice en saut !''

- moi : '' Oui, oui, Robert, pas de problème de ce côté-là. Tu étais plus tonique, plus aérien. Par contre, tu as manqué de consistance en surf et attrapé de moins bonnes vagues aussi, alors c'est sûrement cela qui a fait la différence ! ''

Bob le Cascadeur, celui qui sortit du bassin de l'Indoor de Paris-Bercy en sautant full speed par dessus le rebord, ou encore le téméraire qui fut le premier à taper des aérials à Jaws sur des vagues de 8 mètres, a l'air moyennement convaincu par ma réponse ! La mine renfrognée, il se lance dans une dernière tirade, le dos collé au panneau au tableau d'affichage :

 - Robert T : '' Ouais... Et en transition, j'étais bien meilleur aussi ! ''.

Je blêmis  un peu et me fends d'un discret '' Oui Robert, oui. Bien sûr... '' bien peu convaincant. Il me faut vous dire que Robert est parfois un peu tête en l'air et que derrière lui, une règle de course affichée par le comité d'organisation stipule en toutes lettres que :

 " ATTENTION, POUR L' EPREUVE DES VAGUES, LES TRANSITIONS NE SERONT PAS PRISES EN COMPTE. "

Je n'ai jamais osé le lui dire, et notre néo-calédonien national s'en est allé furieux !

3) Jumping Jack. (2021)


Les Sables d'Olonne, Vendée, France, avril 1990, 11 h 25.

Ce sont des conditions inhabituelles qui agitent aujourd'hui la baie des Sables. Le spot est en effet réputé par vent de nord-ouest, avec de bonnes vagues rondes et puissantes mais qui ont tendance à fermer un peu. Rien de tout cela en cette douce journée de printemps ! Il y a un bon force 7 de sud-sud-est, side shore bâbord, et comme c'est le début de la dépression, de beaux trains de houle viennent s'effondrer en bord de plage.


Les plus belles séries montent à jusqu'à 3 mètres, et surtout, les vagues ouvrent très correctement, autorisant de longs surfs frontside avec sur la dernière section un aérial à la clé pour les plus téméraires. Jacques Pétry fait partie de ceux-là. Armé de sa Gaastra Wavefoil Pro 4.1 m² et d'un minuscule custom Tabou shapé sur mesure par Fabien Wollenveider, le voici qui charge avec détermination les épaules les plus massives, et n'hésite pas à envoyer de grosses manoeuvres sur la lèvre, avec une gerbe d'eau bien visible à l'appui. Avec ma Art Wave 4.1 m² coupée par Monty Spindler et sur la Kriss Custom 2.40 m que me prête Christian Meunier afin de faire la promotion de sa marque, j'essaie de suivre tant bien que mal le rythme d'enfer imposé par l'animal mais " Surfing Jack " est vraiment déchaîné. Je finis par casser mon mât après avoir voulu faire le malin lors d'un off the lip re-entry de dernière minute sur une épaule plus imposante que les autres...


Pendant que je regrée à la hâte ma voile sur un espar de rechange, j'aperçois notre athlète posant un aérial off the lip d'extra-terrestre. Ce type est vraiment une boule d'énergie ! Cela me rappelle notre jeunesse et un windsurf-trip à Siouville où Jacques, âgé alors de 16 ans, s'était fâché avec ses amis. Il avait alors dormi sur la plage sous sa voile plutôt que dans leur tente. Cela ne l'avait pas empêché d'être d'attaque dès le lendemain matin 7 h 30, et de naviguer ensuite comme un furieux pendant une grande partie de la journée !


Vers 16 h 00, après plus de 4 heures de navigations dans des conditions toujours aussi musclées, nous rentrons chez les parents de Jacques, lesquels ont la gentillesse de nous accueillir chez eux afin de profiter au mieux des 3 journées de vent prévues. Avec Christophe Colomer, le partenaire de tandem de Jacques sur les épreuves de vitesse, nous nous apprêtons à nous écrouler chacun dans un fauteuil après avoir englouti un goûter plus que copieux et des litres de Coca-Cola. Jacques, lui, est en pleine forme. Il se lève tout à coup, scrute avec envie l'Océan par la fenêtre de la salle à manger puis nous gratifie d'un très sérieux " On y retourne ??? ".


Blonville, Calvados, France, octobre 1993, 12 h 45.


C'est la tempête en ce weekend d'automne. Un bon force 8 souffle de l'ouest-sud-ouest, et la mer est blanche et démontée. Les vagues déferlent partout, même en pleine mer : des lames vraiment impressionnantes, et dont la crête est balayée par un souffle infernal. Pourtant, un petit groupe de waverideurs s'est donné rendez-vous au centre nautique pour tenter une sortie dans ces conditions dantesques.


Il y a là les passionnés frères Puglisi, Jacques et son amie Caroline, Christophe Colomer, bien décidé à sortir sur sa Tabou fétiche bien adaptée de par son shape à ce genre de conditions, et quelques autres membres venus en spectateurs. Handicapé par une entorse à la cheville, j'ai là une excuse toute trouvée pour ne pas avoir à affronter cette mer en furie, et je me suis donc équipé de ma caméra pour mettre tout ce joli petit monde dans la boîte.


C'est Raphaël Puglisi qui se jette à l'eau en premier, armé d'une Coppello de 2 m 65 et d'une ART Wave de 4 m² pour le moins étarquée au point d'amure... Il passe avec dextérité les premières mousses puis, à la faveur d'une accalmie, arrive à gagner le large, où les séries sont pour le moins impressionnantes. Je me répète, mais encore une fois, cela déferle même en pleine mer ! Et le danger dans ce genre de situation, c'est de se faire brasser par une énorme vague, perdre son matériel, et devoir revenir à la nage dans un océan déchaîné sur des centaines de mètres voire des kilomètres. Raphaël l'a bien compris, et il multiplie les allers-retours en restant prudemment à un jet de pierre de la côte.


Il est bientôt rejoint par ses deux frères, Sébastien et Philippe, qui réussissent eux aussi à passer l'énorme barre pour aller faire monter l'adrénaline au large.


Caroline n'aura pas cette chance. Happée par une énorme déferlante de la taille d'un mât, elle se retrouve en moins d'une minute rejetée sur le sable comme une poupée de chiffon. Elle prendra ensuite le temps de se remettre de ses émotions, et trouvera les ressources de repartir de plus belle et d'être la seule fille de la journée à effectuer quelques allers-retours dans cet océan en furie.


Voici maintenant Jacques et Christophe qui se mettent à l'eau ! J'ai l'oeil rivé sur eux dans le viseur de ma caméra, et après un passage de barre en règle, les voici qui tracent leur route vers le large.


Christophe est un peu sur la défensive car il ride un flotteur très léger, mais qui ne le serait pas dans ces conditions. Jacques est lui sur une bonne vieille Tiga Wave 250 en extrudé-soufflé donc plus lourde, et comme à son habitude, c'est une pile électrique ! High jumps tel le Dunky à Pozo, backloop à la Polakow dans la zone d'impact (!), on se demande dans quel état il va rentrer et je me concentre pour ne rien rater des évolutions du jeune homme. Celui-ci s'éloigne maintenant vers le large et l'on doit bien se rendre à l'évidence, il est en mode slalom, traçant son chemin full speed tel Antoine Albeau, en direction de l'Angleterre et à plus de 2 kilomètres des côtes... 


Nous commençons tous à nous faire du souci pour lui, et tout à coup, cela ne rate pas : il croise le chemin d'une gigantesque déferlante et tire de toutes ses forces sur son whisbone pour monter le plus haut possible ! Vue de la plage, la scène est ahurissante, avec un Jacques à environ 12 mètres de haut, et qui lâche prestement son matos car la réception : ça ne va pas le faire ! Sa planche et son gréement s'envolent à bonne distance dans une rafale à plus de 40 noeuds, et tout le monde se demande bien comment il va pouvoir faire pour les récupérer.

Plus personne n'ouvre la bouche dans le club, et au moment où nous nous apprêtons à téléphoner aux secours (mais qu'auraient-t-ils bien pu faire dans ces conditions ?), c'est avec un soulagement non dissimulé que nous voyons apparaître la tête de mât de notre fou furieux entre deux crêtes : ouf !


Une demi-heure plus tard, notre Jacques national fait irruption dans le local le sourire aux lèvre et nous gratifie la mine radieuse d'un " Vous avez vu mon saut les gars ??? "...

2) Le roi du lightwind. (2021)


Blonville, Calvados, France, octobre 2008, 14 h 00.

Fabrice Beaux est de passage dans la région. Il vient rendre visite à ses amis François Briard et Jean-Antoine Souyris, qui sont aussi ses sponsors pour la marque de surfwear Northmen. Pour ceux d'entre-vous qui ne connaissent pas le jeune homme, Fabrice est l'un de nos meilleurs rideurs français en vagues : il se classe régulièrement dans le top ten lors des épreuves de windsurf organisées dans l'archipel hawaïen où il réside une bonne partie de l'année. Aujourd'hui, les conditions sont prévues modérées par Windguru, avec un vent d'ouest-sud-ouest de l'ordre de 15 à 20 noeuds, et peu de houle significative. Les vagues risquent de manquer de consistance, mais avec Fabrice, nous nous sommes quand même donné rendez-vous au centre nautique de Blonville sur mer.

J'y arrive en début début d'après-midi équipé d'un flotteur Freewave de 95 litres et de voiles dont la surface est comprise entre 5 et 6 m². Je suis d'humeur à faire de la planche à voile aujourd'hui et comme les branches des arbres de mon jardin s'agitent très correctement, j'ai laissé le SUP dans le garage... Fatale erreur ! Après une demi-heure de navigation au planing, le vent tombe à 8-10 noeuds, nous octroyant encore la force de passer la barre les pieds dans l'eau puis d'attraper quelques séries que nous surfons frontside. Encore un petit quart d'heure de ce régime, et le vent perd définitivement en puissance pour finalement se stabiliser à 6-8 noeuds. Les vagues, elles, se mettent subitement à grossir pour atteindre un joli mètre vingt. C'est le moment que choisit Fabrice pour nous rejoindre sur le spot.

Après les salutations d'usage, celui-ci me montre ses toutes nouvelles RRD Twinser Wave de 76 et 84 litres. Après des années d'utilisation d'un single ou d'un thruster dans les vagues, c'est en ce moment la révolution sur tous les spots de la planète. Beaucoup de rideurs ne jurent plus que par ces planches munies de 2 ailerons. Kauli Seadi a été le premier professionnel à remettre à l'ordre du jour cette configuration de dérives sur ses prototypes JP Australia shapés par Keith Teboul. L'avantage est de pouvoir augmenter le nombre de virages sur l'épaule de la vague tout en restant plus facilement au coeur de celle-ci. Vu les conditions, ce n'est pas aujourd'hui que l'on va pouvoir profiter de cette avancée technologique et plutôt que de rester à regarder la mer assis sur la digue, je propose à Fabrice de lui prêter un surf. '' Non merci, mais ne t'inquiètes pas, je vais aller visser mes footstraps sur mes 2 planches puis tenter d'attraper quelques vagues !'', voilà pour sa réponse. Et tandis que je me dirige vers le line up en ramant sur ma 10 pieds Bob Pearson, je pense en mon fort intérieur qu'il ne va pas tarder à revenir rapidement sur sa décision après sa séance de bricolage... 

Les séries sont plutôt sympathiques à rider en longboard car elles ouvrent correctement en gauche, et après quinze minutes de glisse, j'aperçois tout à coup Fabrice qui s'avance sur la plage armé de sa 84 litres et d'une 5.2 Neil Pryde... Zone ! Mise au point par Jason Polakow et Robert Stroj, c'est la voile la moins puissante de la marque, connue pour sa grande finesse et ses aptitudes à se faire oublier au surf down the line dans de solides conditions... Tout le contraire d'aujourd'hui, ce qui n'empêche pas notre hawaïen de service de rejoindre le pic en deux coups de cuillère à pot puis de commencer son festival ! Dans un souffle asthmatique, il arrive en jouant les équilibristes, à se placer sur la plus grosse vague de la série puis à suffisamment lofer pour regagner le terrain perdu pendant  le passage de la barre. Arrivé dans la zone d'impact, il abat alors plein largue sur l'épaule, de manière à générer le maximum de vitesse, puis s'en va taper 2 ou 3 rollers de belle facture. Grâce à sa technique affûtée dans le petit temps et maintenant la petite taille de ses 2 ailerons, ses prises de carre sont très appuyées lors du bottom turn, et il nous gratifie en plus de jolis slashs en fin de off the lip. Gaël Pilastre, l'un des responsables du club, profite de l'occasion pour sortir son appareil photo après avoir rangé son aile et sa planche de kitesurf. L'un de ses clichés aura les faveurs de la presse spécialisée et paraîtra  dans Wind Magazine.

16 h 45, même endroit.

Il est temps de ranger mon matériel et de filer chercher ma fille Agathe à l'école primaire. En faisant demi-tour sur la digue, je constate que le vent a repris des tours et qu'il souffle maintenant à 12-15 noeuds. Fabrice est au taquet au surf, et ma dernière image de lui est un aérial off the lip à plus d'1 m 50 au dessus de la vague, après une impulsion digne d'un gymnaste sur un trampoline ! Oui, décidément, le garçon est vraiment très doué dans le lightwind...

4) Les cerfs. (2021)


Caen, Calvados, France, mai 2008, 12 h 30.

Cela bouchonne un peu aujourd'hui sur le périphérique caennais, surtout après avoir franchi le viaduc de Calix en direction du C.H.U. Avec Jean-Antoine Souyris, nous voici sur la route du Cotentin pour, normalement, une bonne session de surf pour lui et de SUP pour moi. Un bel anticyclone est calé sur la Normandie, tandis qu'une solide dépression passe au large des îles britanniques. Windguru annonce une houle d'ouest-sud-ouest d'un mètre quatre-vingt avec une période de 10 secondes, du soleil, un vent faible d'est-nord-est off shore, avec en prime des températures estivales. Tous les indicateurs sont donc au vert pour un petit trip dans la Hague !

Pendant que je surveille dans mon rétroviseur les véhicules qui déboîtent et que Chris Réa nous emplit les oreilles de son titre bien nommé ''Sweet summer day'', je me demande bien à quel endroit va se dérouler notre session. Vauville, Biville, Siouville, Sciotot,  ou encore le Rozel ? Bien qu'ils aient chacun leurs spécificités, les spots ne manquent pas sur la côte ouest du Cotentin. ''Tu verras bien ! '' m'a dit en souriant Jean-Antoine, ''mais là où je t'emmène, nous serons tranquilles ! On pourrait baptiser le spot ''les Cerfs'' ''. Bizarre, bizarre. A part quelques lapins ou bien des chevaux que l'on croise occasionnellement dans la lande derrière les dunes, je n'y ai jamais vu de biches et autres cervidés, lesquels préfèrent normalement l'intérieur des terres et les sous-bois...

Surtainville, Manche, France, même jour, 14 h 00.

J'ai roulé en respectant les panneaux de signalisation routière afin de ne pas me faire flasher par les radars qui sont régulièrement installés aux alentours de Bayeux et de Carentan par la Gendarmerie Nationale sur la RN 13. Je n'ai pas l'intention de me voir infliger une amende pour excès de vitesse, de perdre des points sur mon permis, et encore moins de faire la connaissance du colonel Martin qui n'est pas un tendre avec les conducteurs en infraction !

Nous voici maintenant arrivé à Surtainville, où le Cotentin Surf Club organise une étape de la Coupe de Normandie de Surf. Qu'est-ce que c'est que ce traquenard ? Jas me rassure tout de suite. Nous sommes en mode freesurf aujourd'hui, et plutôt que de remonter au nord de la baie vers le site de la compétition, nous empruntons en direction du sud un dédale de petites routes qui finissent par nous conduire à un chemin traversant la dune. Pas évident à trouver, mais effectivement isolé ! Les vagues sont bien là et Jean-Antoine se précipite comme à son habitude le premier au pic comme un mort de faim. C'est plus gros et plus puissant qu'il n'y parait vu du parking, et comme il n'y a pas de channel, je passe de longues minutes à ramer dans les mousses avant de réussir à gagner le large...

Premier take off sur une bonne épaule en droite et là, c'est Backdoor ! Les vagues ne font qu'1 m 50 mais elles ont une énergie phénoménale, avec en prime un bowl bien creux dans l'inside. Dans ce genre de conditions, il n'est pas pas question d'appuyer ses cutbacks. Il faut sans cesse accélérer à la limite du tube, et laisser filer la board pour ne pas se faire enfermer. Goofy, Jas est plus prudent que moi lors de ses drops mais néanmoins très efficace une fois lancé sur la vague sur son custom Al Merrick.

Après une bonne demi-heure passée à shooter de belles séries, arrive ce qui devait arriver ! Late take off mal maîtrisé et me voilà parti pour un tour de machine à laver... J'utilise une Naish Nalu 10'6 par 28'', une longueur appréciable pour démarrer loin au large derrière la zone d'impact avec une relative sérénité, et d'habitude, cela tire un peu sur le pied arrière au niveau de l'attache du leash dans ce genre de situation. Rien à voir cependant avec la forte traction exercée par une planche comme la Gong NFA 12' ou l'Oxbow 11' Cruiser. Mais aujourd'hui, je me fais traîner plusieurs fois sous l'eau sur plus d'une dizaine de mètres, et mon leash aura quasiment doublé de longueur à l'issue de cette session ! 

Les vagues grossissent de plus en plus et tout au loin, nous apercevons la tente des juges qui officient pour la compète de l'année en Normandie. Les coureurs doivent s'en donner à coeur joie dans ces conditions musclées : on distingue parfois une silhouette qui vient frapper la lèvre dans un off the lip rageur, ou une autre qui s'envole en kick-out suicidaire par dessus l'épaule. Avec la marée descendante et après 3 heures de rides non-stop, nous terminons cette belle session en douceur sur une jolie petite gauche un peu plus au nord. En remontant sur le sable sec déjà chaud pour la saison, en face d'un arbuste qui parait être le seul à résister au fort vent d'ouest qui souffle constamment ici en hiver, je demande à nouveau à Jean-Antoine pourquoi il a ainsi dénommé le spot. '' Quoi ? Mais ne me dis pas que tu n'as pas vu !!! ''.

Non, effectivement, je n'ai rien vu lors de notre arrivée, trop impatient comme nous le sommes souvent de goûter une nouvelle fois aux plaisirs de l'Océan et d'en découdre avec les séries. Mais en quittant le spot, j' ai bien fait attention cette fois-ci à ces grands bâtiments de verre et d'acier  implantés sur le bord de la route : des serres pour la culture des légumes !!!

5) Lucky Luc. (2021)


Païa, Maui, Hawaii, août 1992,5 h 30.

Cela fait quelques jours que je suis arrivé dans l'archipel hawaïen et encore sous l'effet du jetlag, je me réveille très tôt le matin. Je loge comme d'habitude au ''360°'', une grande maison partagée en plusieurs appartements. Elle appartient à Hank Roberts, un vieil homme très sympathique toujours prêt à rendre service. C'est aussi un écologiste convaincu : hier, il n'a pas hésité à faire le tour de l'île au volant de sa Toyota pour aller soigner une tortue blessée et l'aider à regagner l'Océan.

Plutôt que de tourner en rond dans ma chambre, je décide de faire une balade et de prendre mon petit déjeuner dans les environs de la plage d'Hookipa. J'estime qu'il est trop tôt pour une session de surf, mais mes deux voisins texans ne sont manifestement pas de cet avis : je les surprends en train de sangler fiévreusement leurs planches sur le toit de leur break Chevrolet ! Je saute  alors moi aussi dans mon pick-up et sous les premiers rayons du soleil, me voici en train de serpenter le long de la route côtière menant à la plage d'Hookipa Beach Park.

Une fois sur place, je m'installe avec jus d'orange et pancakes sur la célèbre butte surplombant les ''rocks''. Il n'y a personne pour l'instant, mais dans quelques heures, il y aura ici de nombreux photographes armés de téléobjectifs dernier cri, et à l'affût d'un high backloop de Robby Naish ou d'un off the lip appuyé de Mark Angulo ! Dans le lagon, deux raies se promènent de concert, tandis qu'au large, un banc d'au moins 150 dauphins (j'ai compté !) s'amusent à jouer à saute-mouton : dis-donc, il y a de la faune par ici...

Même jour, Hookipa, 14 h 30.

L'alizé de nord-est souffle à 25 noeuds, et les vagues font un joli mètre cinquante, des conditions idéales pour envoyer de bons rollers sur le flotteur que je viens de racheter à Phil Mac Gain. C'est un peu la cohue sur certaines séries, mais quel plaisir de partager la session avec des planchistes locaux comme Robby Seeger, toujours très cool et souriant, ou encore le jeune Franscisco Goya, 14 ans, un minot qui promet...

Alors que je termine un hélicopter tack dans le lagon et que je m'apprête à repartir vers le large, un rideur complètement surexcité me frôle à pleine vitesse en hurlant ''Shark ! Shark!''. J'avoue croire un instant à une mauvaise blague mais on ne sait jamais, restons calme, un petit sinker jibe tout en douceur... et direction la plage ! J'y retrouve notre windsurfer, les yeux exorbités, et tremblant comme une feuille. C'est un français vivant en Californie et ce que vient de vivre Luc tient tout simplement du miracle...

Il s'en est allé faire une petite virée au large, très au large, à tel point qu'il distinguait à peine les voiles des funboarders évoluant en bord de plage. Il est tombé au jibe puis s'est dit qu'il allait en profiter pour régler le velcro de l'un de ses footstraps, ce qui prend un peu de temps. Il s'est ensuite détendu quelques instants en se baignant tranquillement à côté de son flotteur et c'est là que l'impensable s'est produit. Il a senti une créature marine le soulever hors de l'eau mais sur l'instant, il n'a pas paniqué car pratiquant couramment la plongée, il est habitué à rencontrer des dauphins et à jouer avec eux. C'est lorsque qu'il a vu passer une nageoire dorsale de près d'un mètre de haut qu'il a compris qu'il était temps de déguerpir !

Sa description de la bête laisse peu de place au doute : dos gris, avec des zébrures noires, c'est très probablement un requin tigre, un redoutable prédateur responsable de plusieurs attaques fatales sur les surfeurs des îles d'Oahu ou de Kawaii, et plus récemment d'une nageuse sur la côte sud de Maui. Et c'est manifestement un gros spécimen au vu des dimensions de l'aileron...

Luc est sous le choc et après s'être un peu remis de ses émotions, il décide sagement de plier bagages. Lorsqu'il s'est retourné pour marcher en direction du parking, nous avons remarqué qu'il avait eu le mollet droit complètement râpé par la peau du squale, une véritable toile émeri aux dires des spécialistes. Dans la soirée, en discutant avec l'un des vendeurs du shop de Doug Hunt, l'inventeur du barrel roll, j'apprendrais que les spectateurs présents sur la butte d'Hookipa ont observé des ailerons de bonne taille croisant derrière la barre dans l'après-midi.

Depuis ce jour, je jibe toujours au maximum sur la dernière vague de la série en zone tropicale!

6) A l'aube du quatrième jour. (2021)


Aéroport de Puerto del Rosario, Fuerteventura, Canaries, 15 h 40.

Depuis quelques années, j'ai pour habitude de venir naviguer une quinzaine de jours en été aux environs de Corralejo. C'est la bonne période pour le vent, l'alizé de nord-est soufflant en général entre 15 et 25 noeuds, et même si c'est parfois un peu la roulette russe pour choisir le bon spot, il y a souvent de quoi faire de la vague sur les plages de Cotillo, Punta Preta ou d'El Burro.

Cette dernière est plus connue sous le nom de Glass Beach et lorsque celle-ci daigne fonctionner, on y windsurfe de très belles gauches glassy qui s'enroulent régulièrement sur un reef de lave un peu aggressif. Peu de sauts sur cette plage où le vent rentre side off shore bâbord mais des surfs frontside d'excellente qualité, à faire pâlir un hawaien bon teint sur des séries qui excèdent malheureusement rarement les deux mètres.

Dès notre descente de l'avion, Emmanuel Baudon et moi avons bien senti que quelque chose n'allait pas... Le vent souffle certes à 25 noeuds mais il est orienté plein est ! La houle qui se forme entre le continent africain et l'archipel des Canaries est donc très grosse mais aussi très désordonnée, et en longeant la route côtière pour rejoindre nos futurs appartements, nous sommes d'accord : il va y avoir une sacré bonne navigation à effectuer lorsque l'alizé va reprendre sa direction habituelle...

Glass Beach, 92 heures plus tard, 7 h 45.

Cela fait 3 jours que nous sommes arrivés et après avoir récupéré du matériel de location chez Ben Thomas, un ancien coureur du World Tour qui tient une boutique sur la plage de Flag Beach, on a du se contenter jusqu'à présent de sessions de ''bump and jump'' pas très enthousiasmantes et sur des spots abrités. Mais aujourd'hui, c'est le grand jour !

Le vent est repassé au nord-est, souffle à 20 noeuds et la houle est toujours bien présente sur le spot d'El Burro. De magnifiques séries rentrent à un bon 3 mètres voire high mast pour les plus belles et pour ne rien gâcher à la fête, la marée est haute : les vagues déroulent donc à la perfection. En plus, il n'y pas l'ombre d'un windsurfeur sur la plage, et donc pas de problème pour se garer dans les magnifiques dunes de sable blanc le long de la route. En 5 minutes, nos deux 5.3 m² North Wave sont grées et montées sur nos flotteurs Fanatic Wave Goya, et c'est le top départ pour une session magique !

Sur le bord aller aujourd'hui, nous sommes au planing même dans l'inside, ce qui est suffisamment rare sur ce spot pour être signalé. Ensuite, il suffit de contourner la barre pour aller se placer tranquillement au pic. Un petit bord en lofant sur l'épaule pour bien se placer puis retour vers le rivage en visant soigneusement le monticule de pierre de lave situé sur la pointe. Et lorsque l'on sent la vague gonfler sous sa carène, en avant pour une succession de rollers plus étourdissants les uns que les autres. On se croirait en Indonésie ou sur un grand 8 ! Il est possible de la jouer cool, en restant à bonne  distance de l' épaule, ou bien de faire le malin et envoyer l'aérial sur des lèvres velues en choisissant les bonnes sections, celles qui ne ferment pas trop et d'où l'on sortira normalement indemne en cas de mauvaise réception ! Les conditions sont vraiment au top et pourtant, après un quart d'heure de navigation, je vois le Manu qui rentre en trombe vers la plage, enfourne son flotteur dans son véhicule et file comme un dératé en direction de Corralejo. Quelle mouche l'a donc piqué, sachant que sa voile est restée sur la plage ?

Je le vois revenir 10 minutes plus tard, après avoir troqué auprès de Ben son flotteur de 81 litres contre un autre plus maniable de 74 litres. Comme il le dit lui-même, ''C'est de la folie!''. Après trois heures de ce régime infernal et des dizaines de vagues lacérées mais aussi quelques sacrées bons wipe out dans la mousse, nous nous écroulons fourbus sur la plage, alors que les vagues perdent en taille et en puissance avec la marée descendante et que l'alizé commence à présenter des signes de faiblesse. Retour au bercail pour un déjeuner pantagruélique en compagnie de femmes et enfants, lesquels ne comprennent pas bien pourquoi nous engloutissons toute cette nourriture avec un sourire béât...

Après une petite sieste réparatrice, nous sommes repassés dans l'après-midi revoir le spot de Glass Beach. Certes, cela fonctionnait toujours très bien, mais cela n'avait pas la saveur de la matinée. C'était la cohue sur certaines séries, entre les touristes allemands munis d'une grosse planche de type FreeWave peu maniable, des planchistes italiens hurlant pour essayer de taxer une ou deux vagues, et les rideurs locaux comme Stéphane Etienne ou encore le très doué Alex Mussolini qui essayaient de charger sévèrement au beau milieu de tout ce petit monde...

Aujourd'hui encore, j'ai toujours dans les jambes les sensations uniques ressenties pendant les bottom turns lors de cette session d'anthologie !

7) J'suis le meilleur ! (2021)


Aéroport de Kahului, Maui, Hawaii, 5 Août 1992, 11 h 30.

Il fait une chaleur étouffante sur le parking de l'International Kahului Airport car cela fait deux jours maintenant que l'alizé est en panne sur le North Shore, une brise qui se révèle être bien rafraîchissante en cette saison sur l'archipel des îles Sandwich. Avec Arnaud, un collègue windsurfeur haut-normand, nous sommes venus accueillir ''Greg'', notre ami et gérant du shop Surf Océan de Rouen qui a pris une dizaine de jours de congés pour venir jouer avec nous dans les vagues hawaïennes. 


Son avion de la compagnie American Airlines est pile à l'heure, et après l'avoir retrouvé dans le hall, nous patientons quelques minutes afin de récupérer ses bagages et son matériel. Comme nous, Greg voyage relativement léger. Il n'a emmené à Maui que ses gréements, et compte bien louer une planche dans l'un des nombreux magasins situés sur l'île. Tout y est disponible, de la Hi-Tech asymétrique pour les fans des bottom turns à la Craig Maisonville, ou bien la dernière Mistral Naish Wave si vous avez l'intention de ressembler à Robby ! Chez Second Wind, il est possible d'acheter un flotteur à un prix tout à fait raisonnable puis de le laisser dans ce même windshop lorsque vous repartirez en France. Le patron va alors revendre votre flotteur et prendre au passage une commission de 20 % avant de vous envoyer votre argent. Ayant plusieurs fois adopté cette solution, j'ai toujours reçu mon chèque dans le mois qui avait suivi mon départ.


Une fois les bagages de Greg chargées dans le pick-up japonais, nous voici sur la route à destination de Paia. Celle-ci passe à quelques dizaines de mètres de la piste d'atterrissage de l'aéroport, et comme souvent, je ralentis pour être en phase avec un des nombreux Jumbo Jet qui se suivent à la queue-leu-leu dans le ciel avant de se poser. Le 747 de Delta Airlines passe quelques dizaines de mètres au-dessus de notre véhicule. L'odeur du kérosène est bien perceptible, et pour un peu, nous aurions pu apercevoir à travers les hublots les pilotes et les nombreux touristes venus passer une semaine de détente sur la côte sud de l'île !


Comme d'habitude, Greg est en pleine forme d'un point de vue verbal. Le jeune homme est toujours plein d'humour et aujourd'hui excité comme une puce à l'idée de venir faire du windsurf à Hawaii. Il commence à se moquer un peu de nous. ''Alors les filles, c'est comment Hookipa ? Parce que moi, j'y vais direct cet après-midi quelques soient les conditions !'' nous lance-t-il. Cela commence fort, mais aujourd'hui Arnaud et moi, nous avons décidé de nous venger bassement de tous les mauvais traitements que nous inflige Greg à longueur d'année... Nous souhaitons donc l'accueillir à la Mecque du windsurf comme il se doit, en lui racontant tous un tas de mensonges pour voir sa réaction !


Nous commençons par lui raconter que les policiers locaux, les ''cops'' comme on les appelle ici, sont des fonctionnaires intraitables et zélés. S'il t'arrête au volant en état d'ébriété, tu es bon pour une fouille au corps sous la menace d'un 347 Magnum et quelques jours de prison sans aucune possibilité de recours ! A la hauteur du golf de Spreckerlsville, Arnaud nous propose de boire un petit coup sous prétexte qu'il fait chaud et sort de son sac à dos un pack de canettes de bière.


La Budweiser ou la ''Bud'' est une boisson très prisée ici tout comme sur le Mainland, et quelle n'est pas la surprise de Greg lorsque j'attrape une des canettes de bière et en avale la moitié d'un trait. Je dois vous préciser que j'ai une forte intolérance à l'alcool, une sombre histoire d'enzyme déficiente. Je synthétise très mal la molécule d'éthanol d'après un ami pharmacien ayant fait sa thèse sur le sujet. Pour moi, un verre de cidre équivaut à environ 4 verres de téquila frappée pour quelqu'un de normalement constitué, et je mets environ 3 jours à éliminer dans un état nauséeux l'alcool présent dans mon sang. Je ne bois donc jamais et Greg le sait. Il est donc très surpris de me voir agir ainsi ! Ce qu'il ne sait pas par contre, c'est que la canette contient en réalité du jus d'orange...


''Eh Fabrice, tu es fou ? Tu sais bien que tu ne supporte pas l'alcool , tu vas être dans un sale état aujourd'hui et demain. Tu ne vas pas pouvoir aller naviguer !'' s'exclame Greg.  Je lui réponds alors tous un tas de sornettes, comme '' Ne t'inquiète pas, ici il fait tellement chaud que l'on transpire beaucoup et que j'élimine beaucoup plus vite !'' ou encore ''J'ai remarqué que le fait d'être un peu saoul me rend plus agile lors de mes rollers.'' Arnaud en profite pour en rajouter après avoir ingurgité le contenu de sa canette :''Demain, un gros swell venant des îles aléoutiennes est prévu, avec des vagues de plus de 5 mètres alors nous avons besoin d'un petit remontant pour gérer notre stress et aller affronter sereinement ces monstres liquides !''.


Greg est sidéré par nos paroles. Il faut dire qu'il est fatigué par le jet-lag et un peu groggy après plus de 23 heures passées assis dans les avions. Mais le pire reste à venir... Feignant d'être déjà grisé par les effets de l'alcool, je commence à légèrement zigzaguer, et aux environs de Baldwin Park, je range brusquement l'Izuzu sur le bas-côté. Greg se demande bien quelle mouche me pique.


''En parlant de grosses vagues, j'ai la trouille : on va s'en rouler une petite !''dis-je sans hésiter. Greg sourit car il pense que je plaisante. Comme moi, le garçon mène une vie saine. Il s'autorise quelques excès et donc quelques verres en soirée mais il a horreur du tabac : ''Un truc pour les pinpins. Pas étonnant que je les dépose tous en slalom à Saint-Aubin le dimanche, on dirait qu'ils naviguent avec le frein à main serré !''


Mais il fait nettement moins le malin lorsque Arnaud sort du papier à cigarette et roule un joint dans lequel il fait semblant de rajouter un peu d'herbe locale !  J'en rajoute vite une couche : ''Tu vas voir Greg, c'est la meilleure Pakalolo de l'île. C'est un ami argentin qui la fait pousser juste au dessus de Makawao, et tu vas nous en dire des nouvelles ! ''. Greg hallucine complètement , et nous demande si nous avons toute notre tête, ce à quoi je lui réponds placidement que l' ''On s'en fiche, on est à 20 000 kilomètres de chez nous et dans un mois nous serons repartis, alors on peut faire tout ce que l'on veut ici ! Vas-y Greg, c'est de la bonne !'' lui dis-je en lui tendant le faux-pétard ! Il refuse tout net et nous présente une mine déconfite, atterré par notre comportement et un peu triste aussi de ne pouvoir relever ce défi hors-norme.


C'est en trop pour Arnaud et moi, et nous partons dans un grand éclat de rire avant de lui raconter toute l'affaire...


Colline d'Hookipa, Maui, Hawaii, 8 août 1992, 16 h 45.


Cela a été une bonne journée de navigation, avec un swell puissant d'un mètre cinquante, les meilleures séries avoisinant les deux mètres, et un vent sideshore tribord de 20/25 noeuds pour une fois régulier, ce qui n'est pas si courant à Hookipa. Avec la bande de français présents sur place, nous nous sommes gavé de rollers et de jumps à bonne altitude, tout en n'oubliant pas d'ouvrir bien grandes nos mirettes afin d'admirer certains des meilleurs rideurs de la planète planter 4 backloops parfaitement posés sur le bord aller. Ou bien enchaîner les sections en surf et rentrer plusieurs aerials off the lip sur la même vague !


J'y ai laissé un mât en début d'après-midi sur une patate de corail : cela m'apprendra à vouloir faire le malin et tenter de slasher sur la lèvre à la Mike Waltze sur une section qui ferme alors que je suis en retard au niveau du timing... Heureusement, le dénommé ''Baby Cavanno'', un rouquin originaire de la région parisienne, m'a tout de suite dépanné en me revendant  pour la modique somme de 50 dollars U.S mon mât préféré de l'époque, un Gaastra Wave de 4 m 30. J'ai donc pu aller rejouer rapidement dans les déferlantes hawaïennes. 


Aux environs de 17 h 00, je discute avec mon sauveur sur le parking près de nos pick-ups respectifs, et le moins que l'on puisse dire, c'est que celui-ci n'est pas avare de compliments... à son propre égard ! ''J'ai encore super bien navigué aujourd'hui, avec des rollers en béton armé !''. J'ai observé plusieurs fois le jeune homme depuis quelques jours, sur l'eau comme depuis le rivage, et même ''s'il sait en faire'' comme on dit, je dois bien avouer que son placement sur l'épaule laisse à désirer et que son style n'est pas des plus académiques. Il ajoute sans sourciller que ''Francisco Goya m'a dit que mes rollers valaient les siens.''. Ouch ! Il y en a qui ne doutent de rien, mais vu le service rendu par le jeune homme, j'avoue que j'ai lâchement répondu un truc comme ''Super !'' afin de ne pas le froisser...


J'en connais un autre, notre Greg national pour ne pas le citer, qui n'hésite pas à se passer la brosse à reluire mais heureusement, celui-ci le fait par pure souci de la plaisanterie. Après avoir dégréer ma ART Wave 5,10 m² et enfilé un tee-shirt Angulo pour cause de température frisquette, je le rejoins sur la butte surplombant l'océan afin d'admirer une dernière fois le spot avant de reprendre la route de Paia.


Cela commence fort dès mon arrivée au sommet de la colline : ''Alors Fabrice, tu m'as vu ? J'ai tout donné, avec des high jumps à 10 mètres de haut comme à Siouville : il va falloir que je navigue un jour sur deux si je veux que mon corps tienne le coup !'' Je manque de m'étouffer en entendant de telles paroles mais le meilleur reste à venir.


Planté sur ses deux jambes tel une statue représentant un colosse grec, les bras croisés, le regard dirigé droit vers l'Océan et le soleil qui se couche sur les Maui Mountains se reflétant dans ses lunettes de soleil, Greg enchaîne avec un formidable : '' Purée les mecs, même au bout du monde, je suis le meilleur !!! ''

9) La première gelée. (2021)


Peut-être connaissez-vous le livre de Philippe Delerm intitulé '' La première gorgée de bière. '' ?

Pour nous autres SUPers du nord de la France, la première gelée de l'automne a elle aussi une saveur bien particulière. Dans nos inconscients, elle marque la fin des étouffantes sessions d'été, de celles où nous portons un chapeau pour nous protéger de la morsure du soleil et où nous nous jetons parfois volontairement à l'eau pour nous rafraîchir. Mais elle annonce surtout les retours des premiers froids et avec eux, la nécessité de porter une combinaison de 5/3 mm d'épaisseur, éventuellement accompagnée d'une cagoule et de chaussons. Bref, tout l'attirail d' un viking moderne !

Nous n'en sommes heureusement pas encore là en ce samedi 16 octobre 2010. Aujourd'hui, le vent du nord a soufflé à plus de 20 noeuds pendant une bonne partie de l'après-midi sur la plage de Blonville sur mer dans le Calvados. Lorsqu'il a viré au nord-est en fin de journée, prenant une direction side off shore tribord et en creusant les vagues, nous nous sommes tous dit en dégréant nos voiles de windsurf ou en rangeant nos ailes de kite qu'il y aurait sûrement une bonne session de SUPsurfing à faire le lendemain matin de bonne heure...

Dimanche 17/10/2010, 7 h 00, -1°c....

Le réveil qui sonne me sort du sommeil et de mes rêves de pics parfaits en Indonésie, bien aidé en cela par le coq du voisin qui se met à pousser la chansonnette à la vue des premières lueurs du jour. Le temps de sauter dans un short Ben Aïpa et d'enfiler mon sweat Rip Curl, me voilà en train de consulter fiévreusement le site www.swell-line.com.

La bouée Manche-est est bien descendue par rapport à hier mais elle affiche encore 1 mètre de houle et 15 noeuds d'est au large du méridien de Greenwich. Ca doit le faire ! J'ingurgite rapidement quelques céréales et un verre de jus d'orange, jette mon sac contenant mon matériel et une pagaie dans le coffre de la voiture, et après un grattage express du pare-brise, c'est parti pour une nouvelle ''Dawn Patrol'' !

D'habitude à cette heure, il n'y a pas grand monde sur la route mais là, c'est vraiment le désert. Il n'y a pas un chat sur le bitume et pour cause, les raffineries du pays sont bloquées par des manifestants : on se bousculait encore hier dans les stations services pour se procurer quelques litres d'essence.

Arrivé au club, je distingue dans la pénombre quelques jolies séries qui déferlent en lignes bien rangées. C'est petit, de l'ordre de 80 cm. J'hésite un instant à rejoindre les amis rideurs qui doivent être en train de se mettre à l'eau à Trouville, car c'est toujours un peu plus gros au pied de la jetée par cette orientation. Mais j'ai la flemme de charger mes Naish sur le toit de ma voiture et finalement, je décide de rester à Blonville et de m'offrir une session en solo, d'autant que la Bic Jungle 10'10 de ma femme m'attend sagement dans le local du centre nautique où règne une douce température de 17 °C...

Après un sérieux échauffement dans le but d'éviter une blessure lors des premières manoeuvres, c'est la mise à l'eau devant la digue, avec les rayons du soleil qui passent par dessus les villas du bord de mer et qui me réchauffent le dos. Il fait maintenant 3°C, et heureusement, il n'y a pas un gramme de vent pour abaisser cette douce température !

La ''Biquette'', shapée par Gérard Dabaddie en collaboration avec Sergio Munari, est parfaite dans ce genre de conditions si vous avez bien sûr décidé de la rider tranquillement. Il ne faut pas trop lui en demander question verticalité lors des top turns mais elle démarre de très loin sur la houle, et son inertie, son double concave et ses bevels lui permettent d'assurer de longs rides tout en glisse dans un style longboard.

Vers 8 h 30, les joggers du dimanche commencent à envahir la plage et les premiers promeneurs allongent le pas en direction du marché couvert. Alors que j'observe au loin le cap de la Hève, un étrange sentiment m'envahit lorsque je découvre que la mer est vide de bateaux !

De ma position haute, j'aperçois bien le ferry de Ouistreham qui fait demi-tour pour prendre ensuite la direction de l'Angleterre (je vous conseille de l' attendre au retour pour surfer sa vague d'étrave qui vient déferler en bord de plage, vraiment sympathique !). Ou encore les cargos ancrés dans le rade de la Carrosse, au large du Havre, et qui attendent que les cours de la Bourse soient favorables pour remonter la Seine et livrer leur cargaison de céréales dans le port de Rouen, mais aucun voilier ni bateau de pêche à l' horizon.

Il faut dire que demain se tient à Deauville le G3, ce sommet international pendant lequel se réuniront Nicolas Sarkozy, la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dimitri Medvedef. La ville ressemble donc un peu à la Corée du Nord, avec ses rues bloquées, ses barbelés, ses lances-missiles installés sur le sommet du Mont-Canisy et sa zone du front de mer dite ''sanctuarisée''. Partout, cela grouille de CRS, de policiers en civils et de motards de la Gendarmerie. Certains étudiants ayant de plus annoncé leur intention de venir manifester leur opposition à la réforme des retraites, les autorités craignent donc des débordements. L'espace aérien a été fermé autour de l'aéroport de Saint-Gatien, et plusieurs batîments de la Marine Nationale doivent arriver demain. Cela ne m'étonnerait pas que quelques sous-marins stratégiques patrouillent à proximité du rivage.

C'est alors que j'aperçois une forme noire qui émerge à quelques dizaines de mètres... Ouf ! Ce n'est que Bernie, un gros phoque noir qui se promène régulièrement entre Honfleur et Cabourg, et qui vient souvent faire un petit coucou aux SUPeurs et aux baigneurs. J'entends distinctement son souffle rauque alors qu'il reprend sa respiration avant une nouvelle plongée, et après quelques pirouettes aquatiques, il semble qu'il en ait fini de jouer avec moi.

Allez, encore un ou deux rollers sur les séries avant que le vent ne se lève et viennent friper le plan d'eau à mi-marée, et il sera temps pour moi de rentrer au sec. En remontant sur la digue, j'ai droit à la sempiternelle question de la part d'un touriste parisien : ''Dites donc jeune homme, c'est quoi votre truc, du kayak ?''... ''Euh, ben non M'sieur, c'est du surf !''.

Au moment de repartir vers 10 h 15, le thermomètre de mon break indique une température de 11°C. Elle montera jusqu'à 21°C à l'abri du vent dans le courant de l'après-midi, à la faveur d'un ciel dégagé digne d'un été indien. Après tout, soyons optimistes, les grands froids hivernaux sont peut-être encore bien loin...

8) Une journée ordinaire à... (2021)


Vauville, Calvados, France, Novembre 2010, 5 h 30.

Pas besoin de réveil pour me sortir du lit ce matin : les prévisions de Windguru annoncent du vent modéré de sud-ouest et de bonnes vagues, alors avec une marée haute à 7 h 00, pas question de traîner !

Comme d' habitude par ce genre de conditions, je peux opter pour une session de SUP à la cool à Trouville sur mer, voire du windsurf lightwind dans de jolies petites séries si le vent est assez puissant pour éviter la dévente du bord de plage due à la marina de Port-Deauville. Mais je peux aussi aller faire un tour en Haute-Normandie et tenter ma chance dans des conditions un peu plus solides, car au large du Cap de la Hève, le vent prend des tours par cette orientation : le fetch plus important génère alors un swell plus conséquent. N'ayant pas de contrainte horaire particulière, je me décide rapidement pour cette deuxième solution. Après un jeté de matos express dans mon break Mondéo et un arrimage solide de mes planches sur les barres de toit, me voici roulant à bonne allure sur le Pont de Normandie.

La manche à air y indiquant la direction du vent est orientée sud-sud-ouest, juste comme il le faut pour mon spot préféré, et après une sortie au péage de Saint-Romain de Colbosc, direction Goderville en plein coeur du Pays de Caux. Ne comptez par sur moi pour vous en dire plus ! Je ne voudrais pas froisser mes amis longboarders haut-normands, grands habitués du spot et de sa vague, mais sachez que la belle déroule en gauche au pied d'une falaise au début de la marée descendante, et ce à quelques encablures d'Etretat. Il faut y arriver en avance sur les autres rideurs, car le parking situé au fond d'une valleuse est tout petit, et se méfier des éboulis, qui sont fréquents après les périodes de fortes pluies. Si avec ça vous ne trouvez pas...

Yport, même jour, 7 h 30.

Le swell est bien là, avec de belles séries à 1 m 20 qui diffractent et s'enroulent autour de la pointe du Chicart à marée haute. Rien de transcendant, mais ça le fait sans problème. Curieusement, la bande de shortboarders et de bodyboarders locaux qui fréquentent assidûment l'endroit n'est pas là. La faute à un passage à l'heure d'hiver qui vous embrouille pour ce qui est des horaires des marées, ou bien à tous ces trains de houle qui sont rentrés sans discontinuer pendant la semaine et qui ont sans doute épuisé nos gaillards ? Je parierais plutôt pour la deuxième solution !

En attendant, je saute dans ma combinaison et profite de la présence matinale de quelques promeneurs pour faire fermer ce maudit zip dans le dos qui se bloque tout le temps. Je prends le temps d'observer encore une fois le spot et décide finalement de remonter dans mon véhicule et de rejoindre mon spot préféré sur lequel cela va à coup sûr mieux rentrer.

En arrivant dans la valleuse, je rejoins Patrick Geffray dit ''Geff'', the local of the spot, qui déboule dans son fourgon. ''Salut Fabrice, comment vas-tu ? Ca a l'air de bien se présenter, il y a de la vague, tu as eu raison de prendre la route aujourd'hui !'' 15 minutes plus tard, nous sommes en train de profiter des premières vagues qui commencent à déferler sur la dalle.

La  haute falaise protège bien le spot du vent de sud-ouest, et nous nous régalons pendant deux bonnes heures sur des épaules longues et glassy, avec à la clé quelques casquettes en sortie de vague. Quelques surfers et paddlesurfers, comme Thomas Daumail armé d'une Fanatic Fly Wave et d'une pagaie très courte, nous rejoignent pour profiter de ces conditions fort sympathiques, et Olivier Duval sort même son appareil photo afin d'immortaliser cette session. Ses clichés feront l'objet d'une News sur le site web SUPFrance d'Eric Terrien.

En remontant vers le parking, je croise Hervé Guillermin qui part se mettre à l'eau en windsurf, car la marée est maintenant presque basse et le vent souffle au pied de la falaise aux environs de 20 noeuds side shore babord. Je l'observe du coin de l'oeil tout en rangeant mon matériel de SUP, et cela a l'air alléchant ! Habitant au Havre, Hervé est un habitué des podiums en catégories Vagues en Haute-Normandie, et il vient de remporter récemment à Veulettes la traditionnelle Hot Game organisée par la très dynamique association Funboard 76. Equipé d'une Fanatic Quad et d'une North Ego, il lacère les épaules à grands coups de off the lip. C'en est trop pour moi, et moins de 10 minutes plus tard, me voilà marchant avec précaution sur la dalle très agressive afin de rejoindre la zone de mise à l'eau, muni de ma Gaastra Poison et ma RRD Wavecult.

Le vent faiblit malheureusement au moment où je m'élance pour mon beachstart, et je galère alors quelques longues minutes dans les blocks en compagnie de 3 autres planchistes avant qu'un petit 10 noeuds nous permette enfin de nous dégager du bord et de rejoindre le pic où ça souffle heureusement un peu plus !

Pour les connaisseurs, le spot ressemble comme deux gouttes d'eau à Glass Beach, sur l'île de Fuerteventura aux Canaries, avec un vent faiblard, mais une orientation vent-vague idéale permettant un surf frontside de grande qualité. Bottom, roller, bottom, roller, etc,  voilà le programme pour aujourd'hui, avec un vent qui ne va cesser de faire le yoyo, sans que cela semble perturber les habitués des lieux. Ceux-ci gèrent en effet très bien les déventes, notamment dans la zone d'impact, où il ne fait pas bon de se faire enfermer sous peine de finir la matos dans les rochers. C'est la raison pour laquelle vous y rencontrez certains riders équipés de vieilles planches et de voiles datant quelque peu !

Vers 15 h 00, le vent qui ronronne aux alentours de 7-8 noeuds semble avoir fini de nous abreuver pour aujourd'hui, et je remballe donc fourbu tout le matériel. Il est temps de reprendre la route, et après un dernier regard en direction de la mer et un salut aux autres rideurs, me voici sur le chemin du retour. 

Ce fut une journée comme tant autres à ...

10) Les géants de la route. (2021)


Labenne, Pyrénnées Atlantique, France, juillet 1996, 8 h 45.

C'est la chaleur intense qui me fait sortir de la couette et surtout de la tente en cette belle matinée d'été. Le soleil commence à taper fort sur la toile malgré l'ombre des grands pins maritimes, et la chaleur devient alors vraiment insupportable. Cela tombe bien : ma femme, mon fils et moi avons rendez-vous avec les frères Puglisi à 10 h 00 sur le parking dominant l'Océan Biarritz Surf Festival. Alors en avant pour une petit déjeuner champêtre dans le camping des Flots Bleus, et une fois tout le barda empilé dans le coffre de la Ford, me voici surveillant la moment propice pour l'engager en toute sécurité sur la D810 reliant Tarnos à Bayonne.


Un coup d'oeil à gauche, un autre à droite, et la première voiture que j'aperçois est un break Volvo tellement bourré à craquer de matériel que je distingue à peine les passagers à l'arrière. Le hasard fait vraiment bien les choses car ce sont les  3 Pug's ! Nous les rejoignons alors après une petite course-poursuite néanmoins respectueuse du Code de la Route.


Une fois de plus, Philippe, Raphaël et Sébastien ont vidé le garage familial. Ils ont emmené avec eux tout un tas de planches de surf différentes, du longboard à l'évolutive en passant par un gun, sans oublier du matériel de windsurf pour chacun d'entre-eux ! Un quatrième larron s'extirpe à grand-peine du véhicule, et les trois frères nous présentent alors Sylvain, un de leur ami surfer. Nous nous mettons d'accord sur la route à suivre et après un passage express au BSF pour y admirer les pas croisés de Joël Tudor et le style chaloupé de charmantes compétitrices hawaïennes dont j'ai oublié le nom, cap au sud-ouest en direction de l'Espagne.


Notre destination finale est le sud du Portugal, que nous atteindrons après 2 jours de route sous un soleil de plomb et une température infernale. Plusieurs décès seront d'ailleurs recensés à cause de la chaleur pendant cette période, et nous passerons une après-midi à se rafraîchir dans la piscine d'un camping après avoir frôlé le malaise sur le parking d'un supermarché par plus de 45°C...


Une fois arrivés à Sagrès, nous louons pour un tarif très raisonnable une maison, laquelle va devenir notre camp de base pour une dizaine de jour. Les spots de surf ne manquent pas aux environs du Cap Saint-Vincent : Tonel, une vague tranquille mais finalement assez puissante et sur laquelle Sylvain fera de jolis progrès, Mareta, un spot de repli qui nous fera le plaisir de fonctionner de fort belle manière un soir au coucher du soleil, ou encore Castelejo, où tout le monde prendra de jolis petits tubes en compagnie de Stéphane Lacasa, un windsurfer du team Oxbow bien connu dans l'hexagone.


Question funboard justement, les frères Puglisi font la tête ! La plupart des magazines spécialisés ont récemment vanté dans leurs pages les mérites de la plage de Tonel, la présentant comme un deuxième Guincho, mais ils ont manifestement oublié certains petits détails... Le spot est au pied de hautes falaises, et le vent ne rentre pas à marée haute. De toute façon, le shore break rend difficile une sortie à ce moment de la marée. Il faut donc attendre que la mer baisse franchement pour se mettre à l'eau, et dans ce cas, il y a un énorme rocher au vent qui perturbe le thermique qui souffle en général sideshore à force 5, et guère plus ! Les vagues sont heureusement présentes, et il faut donc se surtoiler pour pouvoir passer la barre en toute sérénité. Pour compléter ce tableau, il y a quelques petits rochers vicelards sous l'eau dans la zone des allers-retours, et mieux vaut demander à un local qui connait leur localisation sous peine de finir à l'hôpital. Bref, la plage horaire de navigation est très courte, et il faut toujours être sur ses gardes. C'est donc pire que sur certains spots haut-normands!


Nous nous consolons avec quelques belles sessions de surf en compagnie des stars portugaises de la discipline sponsorisées des pieds à la tête, comme celles scorées sur la plage de la Pointe Rousse. C'est une baie où s'enroule une magnifique gauche, et que l'on atteint après avoir roulé sur une piste poussiéreuse pendant plusieurs kilomètres. L'entrée de celle-ci se trouve à proximité d'un restaurant près du cap Saint-Vincent, et pour la suite du chemin, je vous laisse chercher ce "secret spot" qui, de nos jours, ne l'est plus vraiment.


Après un semaine de ce régime, les Puglisi n'en peuvent plus de sortir exclusivement leur planche de surf et de laisser leurs flotteurs de wind griller au soleil par 35 °C sur le toit de leur véhicule. Après une soirée épique, où chaque frère explique aux deux autres qu'ils lui doivent une somme rondelette en remboursement de soi-disantes courses ou de pleins d'essence (il faut assister à ça au moins une fois dans sa vie !), ils prennent la décision de remonter tout au nord du pays, à Molédo, là où le vent souffle en ce moment d'après un rideur normand présent sur place.


Il faut dire que tailler la route ne leur fait pas peur ! Je me souviens d'un surftrip en leur compagnie dans le sud-ouest de l'Angleterre. Bloquée par l'Irlande, la houle de nord-ouest était faiblarde à Sennen Cove, qui est pourtant le meilleur aimant à vagues de la région, et nos trois lascars n'avaient pas hésité à  rouler jusqu'en Ecosse pour retrouver un swell digne de ce nom !


Quelques jours plus tard, nous rendons les clés de notre location et décidons de les rejoindre en remontant nous aussi au nord de Porto, à la frontière entre le Portugal et l'Espagne.


Après une petite escale à Lisbonne, où dans certains quartiers, les bidonvilles font penser au favelas brésiliennes, direction à Ericeira  pour une session de surf hard-core sur la plage centrale que je vous déconseille : c'est plein de rocks!


Le lendemain, nous voici à Molédo, où la Nortada souffle à force 6 en accompagnant des bonnes vagues d'1 m 50. Je n'ai pris que mes planches de surf pour voyager léger en famille mais surtout ne pas faire de windsurf pendant ce trip et essayer de me débarrasser d'une blessure aux adducteurs que je traîne depuis plusieurs mois. Je vais tout à coup beaucoup mieux !


Je retrouve sur le spot de nombreux planchistes normand, de Saint-Aubin en passant par Houlgate, et avec l'aide d'Alain Desprez, un sacré rideur parti maintenant en exil du côté de l'Almanarre jouer dans les vagues méditerranéennes en compagnie d'Alex Grégoire, je pars à la quête de matériel !


En une demi-heure, j'en ai rassemblé suffisamment pour aller naviguer :une voile Gaastra par ci, une planche Copello par là, un bon vieux mât en fibre et un wishbone en aluminium, et après un sérieux échauffement au baume du tigre, me voici accroché au harnais.


Le vent est bien régulier, et j'y vais tout en douceur en saut car ma blessure me rappelle à son bon souvenir lors des appels. Pas de problème en revanche en surf et nous nous en donnons à coeur joie en off the lip, d'autant que les vagues déferlent tranquillement sur des fonds sablonneux. Les frères Desprez sont en pleine forme, de même que Franky, le shapeur des planches Cirrus, et au vent du spot, un rideur allemand immatriculé G 48 qui déchire tout ce qui passe sous sa carène.


Mais au fait ? Et nos frères Puglisi dans tout ça ? C'est l'homme qui casse des longboards en deux en tentant des tubes dans le shore break trouvillais, 
Ghislain Leguet, qui va éclairer notre lanterne : "Comme il n'y avait pas de vent depuis deux jours et que la météo nationale prévoyait un coup de Mistral dans le sud de la France, ils ont pris la route de ... Marseille !'' 


Je vous le donne en mille : le vent ne s'est jamais levé sur la Méditerranée alors que nous étions au taquet à Moledo, et les trois frères ont passé deux jours en Provence à maugréer dans la pétole avant de remonter complètement dépités en Normandie!

11) Trouville forever. (2021)




Jetée de Trouville sur mer, Calvados, France, 31 décembre 2010, 13 h 50.

Il fait un temps magnifique en ce jour de réveillon. Après plusieurs jours passés en mer, les bateaux de pêche rentrent enfin au port, entourés d'une nuée de goélands et autres oiseaux marins. Dans quelques heures, touristes et locaux envahiront les quais et la poissonnerie pour quelques derniers achats avant de fêter le nouvel An et de plonger dans l'univers de l'année 2011.


Mon regard se porte vers l'horizon. La mer, les phares sur les deux jetées, les cargos mouillés au large qui attendent l'ordre de remonter la Seine jusqu'au port autonome de Rouen, le cap de la Hève et la ville du Havre avec sa zone industrielles et ses torchères. Rien se semble avoir vraiment changé sur ce spot que je ride depuis maintenant plus de 35 ans. Et pourtant...


Je suis né le 20 juin 1964 à Deauville. C'est donc dans cette station balnéaire réputée du Calvados que j'ai commencé à user mes fonds de culotte sur les bancs de l'école et du collège André Maurois puis mes Kryptonics sur la rampe de skateboard installé par la municipalité sur les lais de mer. Il faut dire que la "planche à roulette" vient tout juste de débarquer des U.S.A et que sur tous les trottoirs de France et de Navarre, la jeunesse française s'essaye à cette nouvelle activité.

Avec Laurent Briens, Ben, ''Jas'', "21" (qui deviendra shortboarder talentueux et un ami de Gary "Kong" Elkerton), et de son frère Philippe Mettout (qui tient actuellement un surfshop sur le north shore d'Oahu à Hawaii), nous nous en donnons à coeur joie à coups d'aérials 2 ou 4 roues pour les meilleurs, d'inverses ou encore de tail taps  bien calés sur le coping. Des figures relativement radicales pour l'époque, mais qui n'ont rien d'extraordinaire en comparaison de celles réalisées par des professionnels comme Tony Alva, lequel nous fera l'honneur de venir de sa Californie natale pour une démonstration restée à jamais gravée dans nos esprits.


Dans la bande, certains choisissent de s'essayer au surf, comme Emmanuel Mézières ou Jean-Antoine ''Jas'' Souyris. D'autres préfèrent mettre les pieds sur un drôle d'engin commercialisé par l'américain Hoyle Schweitzer : la Windsurfer. Pas facile de sortir le gréement de l'eau à l'aide d'une corde appelée tire-veille, et de tirer ses premiers bords sur cette planche à voile mais au bout de quelques séances, je deviens complètement accro à la pratique. Le matériel est encore rudimentaire : le wishbone est en teck, se fixe au mât par l'intermédiaire d'un noeud de cabestan, et la jonction entre le mât et la planche est constitué d'un cardan en acier qui à la fâcheuse habitude de ne pas tenir en place !


Je m'inscris alors au club local des Fous du Vent en compagnie d'autres windsurfers comme Eric Liot, Alain Blotière ou encore Christophe Philippe, lesquels s'illustreront au niveau national et international sur les régates monotypes Mistral, Windglider ou Ten Cate organisées par des marques en quête de promotion.


Les premiers magazines de windsurf font leur apparition en librairie, et à la vue des premières photos de planches courtes, nous raccourcissons immédiatement nos flotteurs de 60 cm à l'aide d'une scie, les équipons de footstraps, et utilisons nos premiers harnais pour naviguer confortablement dans la brise au planning et tenter nos premiers jumps. Nos héros de l'époque s'appellent Jurgen Honscheid, le premier à avoir monté un gréement sur une planche de surf (un gun jaune devenu célèbre) et s'être aventuré avec dans les vague du spot de Diamond Head à Hawaii, Robby Naish, Mike Waltze, Richard White, ou encore le jeune Peter Cabrinha. Naviguer dans les vagues et les windsurfer frontside devient alors notre obsession n°1.


Il y a certes de bonnes conditions à Deauville par vent de sud-ouest, surtout devant la piscine municipale, où des lignes très correctes viennent déferler lorsqu'une perturbation emprunte le couloir de la Manche avant d'aller finir sa course en Europe du Nord. Mais il y aussi pas mal de clapot, surtout si le vent passe on shore, et l'on se met à rêver d'un spot avec des vagues plus lisses et qui déroulent comme dans les îles Sandwich...


Nous les trouvons à un jet de pierre, sur la plage voisine de Trouville sur mer ! Nos collègues surfers ne s'étaient pas trompé. Après avoir pratiqué de longs mois sur la plage de Deauville, à côté de la digue des marinas, les voilà qui dévalent de jolis petits murs en face de l'aquarium de la Reine des Plages. J'y fais ma première session équipé d'une voile fat head Verneuil 5.4, laquelle ressemble comme deux gouttes d'eau aux tripanels dessinées par Barry Spannier et l'équipe de Maui Sails. J'ai sous les pieds un custom shapé par Ron House pour Michel Barland, une 2 m 60 en clark-polyester. Son outline rappelle étrangement les surfs construits par le bayonnais, et la déco constitués de rayures de plusieurs couleurs, est similaire à celles des planches utilisées par Fred Basse, le chef de file du team Sodim Chapter officiant au Havre.


Dominique Ozenne m'accompagne avec sa Bic Show et sa Gaastra, et bien que le vent de sud-ouest soit perturbé et affaibli par la marina, nous réalisons quand même de belles descentes en surf frontside. Pas de gaufre chocolat-chantilly pour une fois après cette sortie, car la soeur de Dominique a garé comme d'habitude sa camionnette-buvette à l'extrémité des célèbres planches de Deauville : nous nous en passerons pour aujourd'hui. Cette navigation à Trouville sera suivie de beaucoup d'autres. Par vent insuffisant, il nous arrivera même de partir en Zodiac des Fous du Vent avec nos surfs et de traverser la Touques, afin de rejoindre les shortboarders qui s'activent dans le shorebreak et de partager avec eux des sessions mémorables.


Nous avons cru aussi y faire la session du siècle, et y emmener des garçons comme Robby Naish, Karl Messmer, ou encore Raphaël Salles lorsqu'ils ont fait escale à Deauville à l'occasion du Tour de France de windsurf, mais le vent et les vagues se sont levés une journée trop tard...


Il y a maintenant beaucoup plus de monde sur les séries trouvillaises. Depuis le milieu des années 80 et le renouveau du longboard sur toutes les côtes françaises, mais surtout depuis l'implantation en 2006 d'un surfshop tenu par le talentueux Stive Lener, lequel assure des cours et des locations. Il n'est donc pas rare de voir une vingtaine de surfers assis au pic, parmi lesquels une bonne proportion de jeunes. Les plus anciens eux, rident plutôt des longboards. Si vous apercevez un quadragénaire vêtu d'une combinaison X-Cel ramer tout à coup vers le large et se positionner tel un raptor prêt à sauter sur sa proie, ne vous affolez-pas. Admirer plutôt le spectacle et Jean-Antoine Souyris, lequel surfe ici depuis la fin des années 70, et qui va encore shooter la bombe du jour là où personne ne l'attendait !


Pour ce qui est du SUP, j'ai débauché depuis l'année 2006 quelques uns des meilleurs riders locaux, lesquels arpentent maintenant le line up équipés d'une big board et d'une pagaie... Vous croiserez sûrement François Briard, qui ne rate jamais une session sur sa 10'6 South Point, à moins que la houle ne rentre au même moment qu'une réunion du conseil municipal... Ou encore Thibault Régent, responsable du Trouville Surfing Club et nouveau converti au surf debout à la rame, et qui envoie de façon très précise du bottom-roller sur sa Starboard Pocket Rocket 8'5!


De plus en plus de surfers caennais sont aussi présents sur le spot, n'ayant probablement pas eu le courage de faire une bonne centaine de kilomètres afin de rejoindre le Cotentin et ses spots bien exposés à la houle comme Siouville ou le Rozel. Ils viennent donc ici profiter de conditions certes plus petites, mais dans une ambiance relax, à condition respecter à la lettre la règle : Une vague, Un rider ! Quant aux Havrais, plus prompts à se diriger vers les spots situés aux environs d'Etretat, on ne les voit que rarement : il faut dire que le prix du péage du Pont de Normandie doit en décourager plus d'un!


Côté windsurf, les proportions s'inversent. Les Haut-Normands ne viennent à Trouville sur mer que si la marée haute les empêche de naviguer en Seine-Maritime pour cause de shorebreak dangereux sur les galets, et dans ce cas, ils sont nombreux à faire la trajet. Quant aux Caennais, ils ont toujours boudé l'endroit pourtant situé à seulement une demi-heure, la raison la plus souvent invoqué étant l'irrégularité du vent lié aux hautes constructions de Port-Deauville. Et ils n'ont pas tort ! Cette particularité fait le bonheur des surfers et SUPers, qui voient rentrer dans la baie les vagues les plus puissantes et les mieux rangées de la région, mais aussi parfois le désespoir des windsurfers englués dans les déventes présentes surtout à marée haute.


Certains locaux ont définitivement résolu le problème, comme François Briard, lequel navigue sans prise de tête aucune de force 2 à 6, avec son Exocet Kona wave de 10'5 pour 145 litres de volume. J'avoue avoir craqué récemment pour une RRD Freestyle Wave de 110 litres... Cela n'empêche pas certains accrocs du spot de continuer à y évoluer sur de petites planches et armés de grandes toiles de vagues devenues très légères en cette année 2010. C'est le cas de Vincent et d'Emmanuel Boisbourdain, qui chargent le spot comme des morts de faim depuis des lustres à grands coups de high jumps et de cutbacks bien appuyés. Emmanuel Baudon y trempe aussi régulièrement les ailerons de son quad JP, et il vient de s'équiper dernièrement d'un SUP PSH pour pallier définitivement au manque de vent.


Même jour, sur le quai, 15 h 20.


Je viens à l'instant de terminer mes dernières emplettes. Je reprends tranquillement la route en direction de Vauville pour rejoindre ma famille et mes amis, et attendre avec eux les 12 coups de minuit. Cette nuit, je vais essayer de ne pas me coucher trop tard : la météo annonce du vent et des vagues pour demain matin à Trouville sur mer...