samedi 24 janvier 2015

11) Trouville forever. (2021)




Jetée de Trouville sur mer, Calvados, France, 31 décembre 2010, 13 h 50.

Il fait un temps magnifique en ce jour de réveillon. Après plusieurs jours passés en mer, les bateaux de pêche rentrent enfin au port, entourés d'une nuée de goélands et autres oiseaux marins. Dans quelques heures, touristes et locaux envahiront les quais et la poissonnerie pour quelques derniers achats avant de fêter le nouvel An et de plonger dans l'univers de l'année 2011.


Mon regard se porte vers l'horizon. La mer, les phares sur les deux jetées, les cargos mouillés au large qui attendent l'ordre de remonter la Seine jusqu'au port autonome de Rouen, le cap de la Hève et la ville du Havre avec sa zone industrielles et ses torchères. Rien se semble avoir vraiment changé sur ce spot que je ride depuis maintenant plus de 35 ans. Et pourtant...


Je suis né le 20 juin 1964 à Deauville. C'est donc dans cette station balnéaire réputée du Calvados que j'ai commencé à user mes fonds de culotte sur les bancs de l'école et du collège André Maurois puis mes Kryptonics sur la rampe de skateboard installé par la municipalité sur les lais de mer. Il faut dire que la "planche à roulette" vient tout juste de débarquer des U.S.A et que sur tous les trottoirs de France et de Navarre, la jeunesse française s'essaye à cette nouvelle activité.

Avec Laurent Briens, Ben, ''Jas'', "21" (qui deviendra shortboarder talentueux et un ami de Gary "Kong" Elkerton), et de son frère Philippe Mettout (qui tient actuellement un surfshop sur le north shore d'Oahu à Hawaii), nous nous en donnons à coeur joie à coups d'aérials 2 ou 4 roues pour les meilleurs, d'inverses ou encore de tail taps  bien calés sur le coping. Des figures relativement radicales pour l'époque, mais qui n'ont rien d'extraordinaire en comparaison de celles réalisées par des professionnels comme Tony Alva, lequel nous fera l'honneur de venir de sa Californie natale pour une démonstration restée à jamais gravée dans nos esprits.


Dans la bande, certains choisissent de s'essayer au surf, comme Emmanuel Mézières ou Jean-Antoine ''Jas'' Souyris. D'autres préfèrent mettre les pieds sur un drôle d'engin commercialisé par l'américain Hoyle Schweitzer : la Windsurfer. Pas facile de sortir le gréement de l'eau à l'aide d'une corde appelée tire-veille, et de tirer ses premiers bords sur cette planche à voile mais au bout de quelques séances, je deviens complètement accro à la pratique. Le matériel est encore rudimentaire : le wishbone est en teck, se fixe au mât par l'intermédiaire d'un noeud de cabestan, et la jonction entre le mât et la planche est constitué d'un cardan en acier qui à la fâcheuse habitude de ne pas tenir en place !


Je m'inscris alors au club local des Fous du Vent en compagnie d'autres windsurfers comme Eric Liot, Alain Blotière ou encore Christophe Philippe, lesquels s'illustreront au niveau national et international sur les régates monotypes Mistral, Windglider ou Ten Cate organisées par des marques en quête de promotion.


Les premiers magazines de windsurf font leur apparition en librairie, et à la vue des premières photos de planches courtes, nous raccourcissons immédiatement nos flotteurs de 60 cm à l'aide d'une scie, les équipons de footstraps, et utilisons nos premiers harnais pour naviguer confortablement dans la brise au planning et tenter nos premiers jumps. Nos héros de l'époque s'appellent Jurgen Honscheid, le premier à avoir monté un gréement sur une planche de surf (un gun jaune devenu célèbre) et s'être aventuré avec dans les vague du spot de Diamond Head à Hawaii, Robby Naish, Mike Waltze, Richard White, ou encore le jeune Peter Cabrinha. Naviguer dans les vagues et les windsurfer frontside devient alors notre obsession n°1.


Il y a certes de bonnes conditions à Deauville par vent de sud-ouest, surtout devant la piscine municipale, où des lignes très correctes viennent déferler lorsqu'une perturbation emprunte le couloir de la Manche avant d'aller finir sa course en Europe du Nord. Mais il y aussi pas mal de clapot, surtout si le vent passe on shore, et l'on se met à rêver d'un spot avec des vagues plus lisses et qui déroulent comme dans les îles Sandwich...


Nous les trouvons à un jet de pierre, sur la plage voisine de Trouville sur mer ! Nos collègues surfers ne s'étaient pas trompé. Après avoir pratiqué de longs mois sur la plage de Deauville, à côté de la digue des marinas, les voilà qui dévalent de jolis petits murs en face de l'aquarium de la Reine des Plages. J'y fais ma première session équipé d'une voile fat head Verneuil 5.4, laquelle ressemble comme deux gouttes d'eau aux tripanels dessinées par Barry Spannier et l'équipe de Maui Sails. J'ai sous les pieds un custom shapé par Ron House pour Michel Barland, une 2 m 60 en clark-polyester. Son outline rappelle étrangement les surfs construits par le bayonnais, et la déco constitués de rayures de plusieurs couleurs, est similaire à celles des planches utilisées par Fred Basse, le chef de file du team Sodim Chapter officiant au Havre.


Dominique Ozenne m'accompagne avec sa Bic Show et sa Gaastra, et bien que le vent de sud-ouest soit perturbé et affaibli par la marina, nous réalisons quand même de belles descentes en surf frontside. Pas de gaufre chocolat-chantilly pour une fois après cette sortie, car la soeur de Dominique a garé comme d'habitude sa camionnette-buvette à l'extrémité des célèbres planches de Deauville : nous nous en passerons pour aujourd'hui. Cette navigation à Trouville sera suivie de beaucoup d'autres. Par vent insuffisant, il nous arrivera même de partir en Zodiac des Fous du Vent avec nos surfs et de traverser la Touques, afin de rejoindre les shortboarders qui s'activent dans le shorebreak et de partager avec eux des sessions mémorables.


Nous avons cru aussi y faire la session du siècle, et y emmener des garçons comme Robby Naish, Karl Messmer, ou encore Raphaël Salles lorsqu'ils ont fait escale à Deauville à l'occasion du Tour de France de windsurf, mais le vent et les vagues se sont levés une journée trop tard...


Il y a maintenant beaucoup plus de monde sur les séries trouvillaises. Depuis le milieu des années 80 et le renouveau du longboard sur toutes les côtes françaises, mais surtout depuis l'implantation en 2006 d'un surfshop tenu par le talentueux Stive Lener, lequel assure des cours et des locations. Il n'est donc pas rare de voir une vingtaine de surfers assis au pic, parmi lesquels une bonne proportion de jeunes. Les plus anciens eux, rident plutôt des longboards. Si vous apercevez un quadragénaire vêtu d'une combinaison X-Cel ramer tout à coup vers le large et se positionner tel un raptor prêt à sauter sur sa proie, ne vous affolez-pas. Admirer plutôt le spectacle et Jean-Antoine Souyris, lequel surfe ici depuis la fin des années 70, et qui va encore shooter la bombe du jour là où personne ne l'attendait !


Pour ce qui est du SUP, j'ai débauché depuis l'année 2006 quelques uns des meilleurs riders locaux, lesquels arpentent maintenant le line up équipés d'une big board et d'une pagaie... Vous croiserez sûrement François Briard, qui ne rate jamais une session sur sa 10'6 South Point, à moins que la houle ne rentre au même moment qu'une réunion du conseil municipal... Ou encore Thibault Régent, responsable du Trouville Surfing Club et nouveau converti au surf debout à la rame, et qui envoie de façon très précise du bottom-roller sur sa Starboard Pocket Rocket 8'5!


De plus en plus de surfers caennais sont aussi présents sur le spot, n'ayant probablement pas eu le courage de faire une bonne centaine de kilomètres afin de rejoindre le Cotentin et ses spots bien exposés à la houle comme Siouville ou le Rozel. Ils viennent donc ici profiter de conditions certes plus petites, mais dans une ambiance relax, à condition respecter à la lettre la règle : Une vague, Un rider ! Quant aux Havrais, plus prompts à se diriger vers les spots situés aux environs d'Etretat, on ne les voit que rarement : il faut dire que le prix du péage du Pont de Normandie doit en décourager plus d'un!


Côté windsurf, les proportions s'inversent. Les Haut-Normands ne viennent à Trouville sur mer que si la marée haute les empêche de naviguer en Seine-Maritime pour cause de shorebreak dangereux sur les galets, et dans ce cas, ils sont nombreux à faire la trajet. Quant aux Caennais, ils ont toujours boudé l'endroit pourtant situé à seulement une demi-heure, la raison la plus souvent invoqué étant l'irrégularité du vent lié aux hautes constructions de Port-Deauville. Et ils n'ont pas tort ! Cette particularité fait le bonheur des surfers et SUPers, qui voient rentrer dans la baie les vagues les plus puissantes et les mieux rangées de la région, mais aussi parfois le désespoir des windsurfers englués dans les déventes présentes surtout à marée haute.


Certains locaux ont définitivement résolu le problème, comme François Briard, lequel navigue sans prise de tête aucune de force 2 à 6, avec son Exocet Kona wave de 10'5 pour 145 litres de volume. J'avoue avoir craqué récemment pour une RRD Freestyle Wave de 110 litres... Cela n'empêche pas certains accrocs du spot de continuer à y évoluer sur de petites planches et armés de grandes toiles de vagues devenues très légères en cette année 2010. C'est le cas de Vincent et d'Emmanuel Boisbourdain, qui chargent le spot comme des morts de faim depuis des lustres à grands coups de high jumps et de cutbacks bien appuyés. Emmanuel Baudon y trempe aussi régulièrement les ailerons de son quad JP, et il vient de s'équiper dernièrement d'un SUP PSH pour pallier définitivement au manque de vent.


Même jour, sur le quai, 15 h 20.


Je viens à l'instant de terminer mes dernières emplettes. Je reprends tranquillement la route en direction de Vauville pour rejoindre ma famille et mes amis, et attendre avec eux les 12 coups de minuit. Cette nuit, je vais essayer de ne pas me coucher trop tard : la météo annonce du vent et des vagues pour demain matin à Trouville sur mer...

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