samedi 24 janvier 2015

1) Sacré Robert ! (2021)


Plage d'El Médano, Ténérife, Canaries, juillet 1995, 11 h 45.

La caravane du World Tour vient de poser ses valises sur le spot d'El Médano au sud de l'île. Depuis une semaine, les conditions sont excellentes. Le vent side légèrement  onshore oscille tous les jours entre 20 et 30 noeuds, et les vagues rentrent à un bon mètre cinquante. Les compétiteurs engagés s'activent sévèrement dans le parc coureur en vue de l'épreuve des Vagues ! Josh Angulo prépare du mastic epoxy à prise rapide afin de boucher au plus vite une grosse fissure sur le nose de sa nouvelle planche au shape novateur de type fish. Josh Stone, lui, est confronté à un choix cornélien. Il hésite entre trois tailles de voile pour aller s'échauffer à grands coups de forwards bien verticaux : 4.7, 5.0 ou 5.3 ? Après 15 bonnes minutes de réflexion et quelques allers-retours entre la tente contenant son matériel et la plage, il optera finalement pour sa 5 m² Neil Pryde Combat : la vie de rider professionnel n'est pas facile tous les jours mon bon monsieur !

Le tirage au sort n'a pas été tendre avec Patrice Belbeoch et Robert Téritéhau. Les deux français vont devoir s'affronter dans un duel fratricide d'ici une demi-heure en huitième de finale, et plutôt que de retourner jouer sur la jolie petite vague qui déferle à proximité de la digue du port et qui autorise de bons surfs frontside, je décide de m'assoir sur un rocher pour assister à ce heat. Les deux hommes ont tout à perdre dans cette manche, et chez Robert, la tension est palpable. En bon breton fier comme du granit, Patrice ne laisse rien transparaître concernant son stress mais cela semble bouillonner aussi pas mal à l'intérieur...

Coup de trompe et top départ pour les deux rideurs qui s'élancent de concert vers le large pour y envoyer leur première rotation. La manche est plutôt équilibrée. Robert saute sur tout ce qui bouge, envoie du late front loop à tous les étages et un très beau table top one hand mais il néglige un peu ses surfs fronside. Il faut dire que réussir un aérial off the lip sur ce spot est loin d'être évident, car le vent est un peu on shore et les vagues parfois de travers. Alors notre Calédonien de service en rajoute une couche en rentrant un 360° voile + flotteur sur la vague, et plusieurs duck jibes très appuyés dans l'inside. En saut, le grand Belbe est moins impressionnant que d'habitude, et bien qu'il retombe toujours sur ses pattes comme un chat, ses réceptions de backloop ne sont pas aussi parfaites que sur son home spot de la Palue sur la presqu'île de Crozon. A l'image d'un Robby Naish toujours armé de sa Gaastra rose fétiche et d'un bon vieux custom en polyester shapé par Harold Iggy, il est par contre beaucoup plus consistant en surf, choisissant avec application le moment où l'épaule va s'effondrer pour y effectuer plusieurs cutbacks successifs qui vont faire la différence auprès des juges...

Tableau d'affichage de la World Cup, 13 h 05.

Le verdict tombe enfin. And the winner is ...Patrice Belbeoch ! Celui-ci est franchement désolé pour Robert et il le félicite néanmoins pour sa belle prestation. Le Caldoche est défait, les larmes aux bords des yeux, et une fois le breton parti, il laisse exploser sa colère et sa déception. Il bouscule violemment une chaise et comme j'ai le malheur de traîner près du panneau des résultats, il me prend à parti.

- Robert T : '' Purée, c'est pas vrai, tu as bien vu la manche quand même, comment se fait-il que j'ai perdu ? J'ai été bien meilleur que Patrice en saut !''

- moi : '' Oui, oui, Robert, pas de problème de ce côté-là. Tu étais plus tonique, plus aérien. Par contre, tu as manqué de consistance en surf et attrapé de moins bonnes vagues aussi, alors c'est sûrement cela qui a fait la différence ! ''

Bob le Cascadeur, celui qui sortit du bassin de l'Indoor de Paris-Bercy en sautant full speed par dessus le rebord, ou encore le téméraire qui fut le premier à taper des aérials à Jaws sur des vagues de 8 mètres, a l'air moyennement convaincu par ma réponse ! La mine renfrognée, il se lance dans une dernière tirade, le dos collé au panneau au tableau d'affichage :

 - Robert T : '' Ouais... Et en transition, j'étais bien meilleur aussi ! ''.

Je blêmis  un peu et me fends d'un discret '' Oui Robert, oui. Bien sûr... '' bien peu convaincant. Il me faut vous dire que Robert est parfois un peu tête en l'air et que derrière lui, une règle de course affichée par le comité d'organisation stipule en toutes lettres que :

 " ATTENTION, POUR L' EPREUVE DES VAGUES, LES TRANSITIONS NE SERONT PAS PRISES EN COMPTE. "

Je n'ai jamais osé le lui dire, et notre néo-calédonien national s'en est allé furieux !

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