samedi 24 janvier 2015

25) L'odeur du cochon grillé. (2021)


Black Sand Beach, ou plutôt ce qu'il en reste, Big Island, Hawaii, juillet 1990, 10 h 45.


Le dieppois Jeannot Van Hegg et moi sommes venu à Maui pour profiter du vent et des vagues en cet été 1990. Nous avons commencé par naviguer pendant quelques jours sur le spot de Camp One, de manière à ce que nos épouses s'habituent au vent fort et maîtrisent  avec grâce la navigation dans des vagues de taille modéré.


Hormis Jimmy Lewis, qui vient ici régulièrement tester ses flotteurs de slalom, et quelques locaux qui sont à la recherche d'une certaine tranquillité, l'endroit n'est pas très fréquenté. Il y a très peu d'eau au-dessus du reef, et l'on peut y envoyer des sauts stratosphériques, catapulté par des alizés qui accélèrent ici à max avant de s'engouffrer entre les Maui Mountains et les pentes de l'Haléakala. Après un trajet d'une dizaine de miles, ils en ressortent off shore et à pleine vitesse sur la plage de Kihei, transformé ainsi en un excellent spot de slalom et de speed. Ou bien viennent gonfler les jours de houle de sud la vague de Maaléa Bay, réputée pour être la plus rapide au monde !


Nous avons ensuite pris la direction de la plage d'Hookipa pour envoyer des surfs frontside dans de belles séries de 2 mètres générées par une dépression qui s'activait au large des îles Aléoutiennes. Ces dames se sont fait quelques frayeurs, mais avec un bon timing lors du passage de la barre, elles ont géré l'affaire comme des championnes. Quant à Jeannot, il a réalisé quelques jolis back loops sur un spot tribord où il n'est pas forcément très à l'aise.

Venir à Hawaii est toujours un sacré périple. Nous nous sommes dit qu'à plus de 20 000 kilomètres de notre camp de base de Saint-Aubin, en Seine-Maritime, ce serait dommage de ne pas en profiter pour partir à la découverte des autres îles de l'archipel : nous avons donc décidé de partir 2 jours visiter Big Island.


L'arrivée sur l'aéroport de Kona est surprenante ! En descendant du Boeing de la compagnie Aloha Airlines aujourd'hui disparue, on se croirait sur Lanzarote aux Canaries. Pas d'herbe mais des champs de pierre à perte de vue, l'île étant encore jeune, et l'érosion n'ayant pas eu le temps de faire son oeuvre.


Chez Hertz, le loueur de voiture est un peu gêné : il s'est trompé dans ses réservations, et a donné notre voiture japonaise à un couple de brésiliens... Pour se faire pardonner, il nous propose une Ford Mustang décapotable, pour seulement 5 dollars de plus. Vendu ! Et nous voici donc filant à toute allure sur les routes dégagées des pentes du Mauna Kéa, en direction du parc national des volcans.


Les cratères y sont impressionnants, le sol est encore chaud, des fumerolles sulfurées jaillissant ça et là. Nous nous offrons une petite balade dans les entrailles de la terre, en rentrant dans les tunnels creusés il y a bien longtemps par la lave en fusion, les célèbres "Lava Tubes". Il est temps maintenant d'aller admirer la fameuse plage de sable noir que nous avons déjà admirée sur des cartes postales vendues dans l'archipel.


En longeant la route côtière, nous ne sommes pas très sereins... Le Kilauéa est entré en éruption il y a quelques jours, et les cops hawaïens s'activent pour faire la circulation. Le volcan est heureusement de type vomitif, les coulées de roche en fusion se contentant donc de dévaler les pentes en douceur et de manière prévisible, mais le spectacle est quand même très impressionnant pour les non-initiés que nous sommes. Certaines maisons sont carrément déplacées sur des semi-remorques pour ne pas être la proie des flammes ! 


En arrivant aux environs de Black Sand Beach, un policier nous explique que nous arrivons trop tard : cette petite merveille de plage vient d'être ensevelie sous une coulée de lave ! Pour nous consoler, il enjambe les barrières de sécurité pour aller jeter des gros morceaux de bois dans le magma, lesquels s'embrasent instantanément comme des allumettes !

 
Plage de Spreckerlsville, Maui, Hawaii, août 1990, 14 h 16.

L'alizé est curieusement en panne aujourd'hui. En été, celui-ci souffle d'habitude à près de 30 noeuds sur la plage de "Sprechen sie Deutch ville'', surnommée ainsi par les locaux à cause du grand nombre de rideurs germaniques qui viennent y pratiquer le bump and jump dans des conditions idylliques. Bon, j'exagère : il y a quand même force 5 Beaufort de nord-est, et quelques jolies vagues d'un mètre qui déferlent sur le reef en face de la maison de Jenna de Rosnay. Après 15 jours de navigation musclée en 4.2 m², je décide pourtant d'aller naviguer, et grée pour cela une 5.0 m² Art Wave que j'installe sur mon Angulo 8'6.


L'année précédente, j'ai longtemps utilisé une galette asymétrique de chez Hitech sur les spots du North shore de Maui. Shapée par Greg Maisonville, le bûcheron d'Hookipa qui navigue sans harnais, c'était un régal au bottom turn mais j'en avais assez d'avoir de l'eau jusqu'aux genoux dès la moindre dévente ! J'ai donc acheté à Ed Angulo, le père de Mark et Josh, une planche facile, une round pintail assez large et volumineuse. Elle me permet de naviguer relax dans les grosses séries, et de rentrer plus facilement des manoeuvres de freestyle-wave dans le lagon.


C'est justement le programme du jour et après avoir laissé mon amie faire des allers-retours et des sauts dans la houle pendant environ une heure, je récupère le wishbone pour quelques hélicopter tacks, duck jibes 360° et autres flip jibes, une transition que mon mentor Peter Cabrinha rentre tout en fluidité. Je essaye ensuite de nombreux monkey jibes, une manoeuvre qui consiste à s'engager dans un 360° classique puis une fois à contre, faire le tour du mât avec la vivacité du dit primate, et se retrouver en position standard de navigation sur l'autre amure.


Aujourd'hui, je suis en forme, et dans ce vent modéré qui facilite la manoeuvre, mon taux de réussite avoisine les 80%. Dans le pire des cas, je repars en marche arrière et finis par faire demi-tour à la manière d'un nose tack, mais parfois bien sûr, je pars en plongée pour aller admirer les fonds coralliens... Bref, je m'amuse, sachant que tomber dans de l'eau à 28°C n'est pas une sanction très désagréable !


J'ai du taper dans l'oeil des "producteurs" car de retour sur la plage, deux hommes s'approchent vers moi pour me parler. L'un deux parle le français, et il m'explique qu'ils sont en mission pour Thalassa, le magazine de la mer présenté par Georges Pernoud et diffusé sur FR3. Ils recherchent plusieurs planchistes pour aller naviguer dans un endroit bien particulier, et me proposent de m'engager contre une somme rondelette.


Après que je me sois entendu dire, sans doute attiré par l'odeur des dollars : " Eh bien, oui, pourquoi pas ? Mais, elle doit se faire où, cette navigation ? ", voici ce que me répond le français. ''Sur Big Island. Il s'agit de naviguer au pied du volcan, à l'endroit où la lave rencontre l'Océan Pacifique. Cela forme des panaches de vapeur assez impressionnants qui peuvent réduire la visibilité, et nous cherchons donc des planchistes qui comme toi maîtrisent bien leur flotteur et sont capable de faire rapidement demi-tour. Normalement, on devrait avoir le concours de Nathalie Lelièvre, Nathalie Siebel, et peut-être Mike Eskimo.'' Ouch ! Tentant comme aventure mais cela n'est pas vraiment le genre d'endroit auquel je m'attendais...


Et à l'idée de finir rôti comme un cochon, j'appuie assez vite sur la pédale de frein : " Mais dites-donc les gars, ce n'est pas un peu dangereux votre truc ?''. Les deux lascars échangent un regard complice, et me répondent qu'il ne faut bien évidemment pas s'approcher trop près de la roche en fusion, car l'eau est alors bouillante, et que perdre son matériel à proximité de la lave peut avoir des conséquences dramatiques. Ils tentent de me rassurer en m'expliquant que le largage sur site va s'effectuer en hélicoptère, et qu'il y aura donc moyen de m'hélitreuiller si les choses tournent mal. Mais c'est trop tard : je sens déjà dans mes narines l'odeur du porc grillé, et je m'imagine déjà finir tel Jeanne d'Arc, vaporisé dans le fleuve de lave du Kilauéa...


Après leur avoir demandé un délai de réflexion, j'ai finalement décliné leur proposition, et de retour en France, j'ai bien sûr eu un petit pincement au coeur en voyant les images du reportage de Thalassa et des top-rideurs qui avait accepté la "mission". Cela avait l'air tranquille, surtout lorsque Mesdemoiselle Siebel et Lelièvre jettent leur planche et leur voile à l'eau depuis l'hélicoptère en stationnaire au dessus de l'océan, puis plongent toutes souriantes pour rejoindre leur équipement.


Mais lorsque je repense à ce qui aurait pu arriver si elles avaient été entraînées par une houle vicieuse vers la roche en fusion, je me dis que j'ai la chance d'avoir toujours mes deux bras et mes deux jambes, et de pouvoir aller jouer dans les vagues lors de la prochaine session !

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