samedi 24 janvier 2015

14) Un petit tour dans un grand bassin. (2021)


Deauville, octobre 1992, 14 h 21.

La sonnerie du téléphone retentit et c'est ma mère qui se précipite pour décrocher. Quelques secondes plus tard, elle me tend le combiné en me disant : "Tiens Fabrice, c'est pour toi. C'est Wind Magazine.''.


La première pensée qui me vient à l'esprit, c'est que les journalistes du mensuel sont à la recherche d'informations concernant les spots de la côte normande, et que je vais me faire un plaisir de les renseigner. J'ai tout faux !


Je leur ai envoyé il y quelques mois un CV dans le but de participer aux trials de l'épreuve Indoor de Paris-Bercy. Cette compétition est un truc de fou. L'idée a germé il y a quelques années dans l'esprit de Fred Beauchêne, l'homme qui a doublé le cap Horn en planche à voile : organiser dans la capitale une compétition de funboard regroupant les meilleurs windsurfers pro de la planète ! Il a donc déniché une douzaine de ventilateurs géants qu'il a fait installer dans l'enceinte du Palais Omnisport de Bercy, au bord d'un bassin long d'une quarantaine de mètres et profond d'environ 70 cm.


La première année, personne n'y a cru ! Les coureurs présents sur l'étape de la World Cup de Hyères ne voulaient même pas prendre l'avion à destination de la capitale, et Robby Naish en personne a failli repartir illico-presto en voyant le plan d'eau parisien. Ce n'est qu'après avoir tiré quelques bords qu'ils ont pris conscience que le système fonctionnait, et dès la première soirée, ce fut le délire!


Imaginez-vous au départ d'une manche de slalom, avec plus de 15 000 personnes scandant votre nom ! A l'image d'autres sports, voilà ce qu'on ressenti tous les rideurs présents dans l'arène et dans une ambiance surchauffée. Pour ne rien gâcher à la fête, il y a même eu une épreuve de saut, les coureurs s'élançant cette fois-ci un par un en direction d'une rampe leur permettant de s'envoler pour un table-top ou un front loop à 15 mètres de fans en transe. Certains d'entre-eux ont fini la soirée torse nu dans le bassin en compagnie de leurs idoles : le retour à la maison a du être vivifiant...


Lorsque la secrétaire du magazine m'annonce que je fais partie des heureux élus qui ont décroché une des 4 wilcards offertes par l'organisation, je suis sur un petit nuage : je vais pouvoir aller tirer quelques bords dans le grand bassin !

POPB, janvier 1992, 11 h 10.


Cela fait vraiment une drôle d'impression de rouler en direction des terres dans l'optique de faire une session de windsurf. Porte de Bercy, nous sommes quelques-uns à arriver en même temps avec notre matériel de planche à voile sur le toit de nos véhicules, et ceci sous le regard médusé de parisiens qui empruntent le boulevard périphérique. Hier, j'ai fais une petite escale chez Surf Océan, le shop rouennais qui me prête du matériel depuis plusieurs années maintenant.


J'y ai récupéré un flotteur Fanatic de slalom assez volumineux, et une 5.8 m² Art Race, un modèle puissant mis au point par le designer maison Monty Spindler et le colosse Thorkil Kristensen. Mon ami Hervé Boennec m'a aussi prêté pour l'occasion une de ses planches. Le sociétaire du centre nautiques de Villers sur mer est actuellement n°1 français au classement général slalom-race et je ne doute donc pas un instant du potentiel de son petit prototype lors d'une navigation en mer, mais j'avoue être sceptique quant à son efficacité en piscine... J'ai aussi emmené une 5.1 m² Art Wave au cas où cela soufflerait plus fort que je ne l'aurais cru.


Dans le hall d'entrée, j'échange quelques mots avec l'allemand Robby Seeger, avec qui j'ai partagé de belles sessions l'été dernier dans les vagues d'Hookipa, puis je rejoins les frères Puglisi qui sont venu voir à quoi ressemble les coulisses de l'événement. La plupart des meilleurs coureurs français sont présents, et j'aperçois le jeune Antoine Albeau qui grée sa voile comme tout le monde... dans les vestiaires ! Les guadeloupéens sont bien représentés en la personne de François Guibourdin, et quelques hollandais, allemands ou danois ont eux aussi été conviés à la fête de part leur bon classement national dans leurs pays respectifs.


Nous avons droit à 2 tours dans le bassin par poule de 4 en guise d'échauffement, et cela se bouscule au portillon. Tout le monde a envie de se jeter à l'eau douce, mais il faut d'abord faire sagement la queue à l'entré du tunnel, et attendre que l'un des membres de l'organisation installe l'aileron de votre planche dans l'un des rails de la rampe de départ. Vu la température, je me suis équipé d'un simple shorty, et ceux qui ont enfilé un 5/3 mm crèvent de chaud. Cela fait vraiment une drôle d'impression de se dire que l'on va tirer des bords à l'endroit même où se jouent les matchs de la coupe Davis, ou bien que l'on va jiber à deux pas de la scène où se produisait il y a peu de temps Mark Knopfler et les Dire Straits !

Les ventilateurs font un boucan du diable, et on se croirait sur le tarmac d'un aéroport, juste derrière les réacteurs d'un Boeing 747 ! Je me demande bien comment le vent peut être assez consistant. D'après l'un des organisateurs, 20 minutes après la mise en marche des ventilateurs, il se crée dans le POPB une gigantesque circulation d'air, et le système devient alors opérationnel.


Il a raison, car après avoir descendu la rampe tout en douceur, je dois me battre contre ma 5.8 m² à cambers. Le vent est très saccadé, et il est donc difficile de prendre appui sur celui-ci pour partir au planning de travers. Il faut donc abattre franchement pour prendre de la vitesse, se caler pour un mini-bord tout en évitant les autres concurrents (souvenez-vous de Robert Téritehau heurtant Robby Naish de plein fouet !), puis lofer à l'approche de la bouée en serrant au maximum le bord du bassin.


Engager et enrouler le jibe ne pose pas de problème particulier mais à la sortie de celui-ci, on se retrouve à nouveau confronté au problème du départ au planning. C'est dans ce genre de moments que l'on aimerait avoir les avant-bras de Bjorn Dunkerbeck... Certains top-coureurs ont de sérieux problèmes à gérer leurs déplacements sur le plan d'eau (je ne balancerais pas mais j'ai des noms !), et comme j'ai envie de profiter pleinement de mon deuxième tour de chauffe, je grée à la hâte ma voile de vague de 5.1 m². Et là, c'est le bonheur !


Certes, je vais moins vite, mais je n'ai plus de problème de contrôle, et le jibe au ras de la bouée devient une formalité. Je navigue donc en  mode continu et fais l'intérieur à pas mal de gaillards réputés qui se battent avec leur gréement et qui me redoublent souvent ...sur le bord d'après ! Mais tout ça, c'est pour le fun, car les trials vont se dérouler selon un autre format de course. Nous allons tous nous élancer en solo pour deux allers-retours chronométrés, les 5 meilleurs gagnant les droits de participer au deux soirées en compagnie du public et surtout des rideurs professionnels pré-qualifiés.


J'ai fini dans les choux (42ème sur 85 si ma mémoire est bonne...) mais comme l'écrira un journaliste dans Wind : "Tu n'as pas vraiment explosé le chronomètre, mais vu ton sourire quasi-constant, tu as l'air de t'être bien amusé !". 

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