samedi 24 janvier 2015

3) Jumping Jack. (2021)


Les Sables d'Olonne, Vendée, France, avril 1990, 11 h 25.

Ce sont des conditions inhabituelles qui agitent aujourd'hui la baie des Sables. Le spot est en effet réputé par vent de nord-ouest, avec de bonnes vagues rondes et puissantes mais qui ont tendance à fermer un peu. Rien de tout cela en cette douce journée de printemps ! Il y a un bon force 7 de sud-sud-est, side shore bâbord, et comme c'est le début de la dépression, de beaux trains de houle viennent s'effondrer en bord de plage.


Les plus belles séries montent à jusqu'à 3 mètres, et surtout, les vagues ouvrent très correctement, autorisant de longs surfs frontside avec sur la dernière section un aérial à la clé pour les plus téméraires. Jacques Pétry fait partie de ceux-là. Armé de sa Gaastra Wavefoil Pro 4.1 m² et d'un minuscule custom Tabou shapé sur mesure par Fabien Wollenveider, le voici qui charge avec détermination les épaules les plus massives, et n'hésite pas à envoyer de grosses manoeuvres sur la lèvre, avec une gerbe d'eau bien visible à l'appui. Avec ma Art Wave 4.1 m² coupée par Monty Spindler et sur la Kriss Custom 2.40 m que me prête Christian Meunier afin de faire la promotion de sa marque, j'essaie de suivre tant bien que mal le rythme d'enfer imposé par l'animal mais " Surfing Jack " est vraiment déchaîné. Je finis par casser mon mât après avoir voulu faire le malin lors d'un off the lip re-entry de dernière minute sur une épaule plus imposante que les autres...


Pendant que je regrée à la hâte ma voile sur un espar de rechange, j'aperçois notre athlète posant un aérial off the lip d'extra-terrestre. Ce type est vraiment une boule d'énergie ! Cela me rappelle notre jeunesse et un windsurf-trip à Siouville où Jacques, âgé alors de 16 ans, s'était fâché avec ses amis. Il avait alors dormi sur la plage sous sa voile plutôt que dans leur tente. Cela ne l'avait pas empêché d'être d'attaque dès le lendemain matin 7 h 30, et de naviguer ensuite comme un furieux pendant une grande partie de la journée !


Vers 16 h 00, après plus de 4 heures de navigations dans des conditions toujours aussi musclées, nous rentrons chez les parents de Jacques, lesquels ont la gentillesse de nous accueillir chez eux afin de profiter au mieux des 3 journées de vent prévues. Avec Christophe Colomer, le partenaire de tandem de Jacques sur les épreuves de vitesse, nous nous apprêtons à nous écrouler chacun dans un fauteuil après avoir englouti un goûter plus que copieux et des litres de Coca-Cola. Jacques, lui, est en pleine forme. Il se lève tout à coup, scrute avec envie l'Océan par la fenêtre de la salle à manger puis nous gratifie d'un très sérieux " On y retourne ??? ".


Blonville, Calvados, France, octobre 1993, 12 h 45.


C'est la tempête en ce weekend d'automne. Un bon force 8 souffle de l'ouest-sud-ouest, et la mer est blanche et démontée. Les vagues déferlent partout, même en pleine mer : des lames vraiment impressionnantes, et dont la crête est balayée par un souffle infernal. Pourtant, un petit groupe de waverideurs s'est donné rendez-vous au centre nautique pour tenter une sortie dans ces conditions dantesques.


Il y a là les passionnés frères Puglisi, Jacques et son amie Caroline, Christophe Colomer, bien décidé à sortir sur sa Tabou fétiche bien adaptée de par son shape à ce genre de conditions, et quelques autres membres venus en spectateurs. Handicapé par une entorse à la cheville, j'ai là une excuse toute trouvée pour ne pas avoir à affronter cette mer en furie, et je me suis donc équipé de ma caméra pour mettre tout ce joli petit monde dans la boîte.


C'est Raphaël Puglisi qui se jette à l'eau en premier, armé d'une Coppello de 2 m 65 et d'une ART Wave de 4 m² pour le moins étarquée au point d'amure... Il passe avec dextérité les premières mousses puis, à la faveur d'une accalmie, arrive à gagner le large, où les séries sont pour le moins impressionnantes. Je me répète, mais encore une fois, cela déferle même en pleine mer ! Et le danger dans ce genre de situation, c'est de se faire brasser par une énorme vague, perdre son matériel, et devoir revenir à la nage dans un océan déchaîné sur des centaines de mètres voire des kilomètres. Raphaël l'a bien compris, et il multiplie les allers-retours en restant prudemment à un jet de pierre de la côte.


Il est bientôt rejoint par ses deux frères, Sébastien et Philippe, qui réussissent eux aussi à passer l'énorme barre pour aller faire monter l'adrénaline au large.


Caroline n'aura pas cette chance. Happée par une énorme déferlante de la taille d'un mât, elle se retrouve en moins d'une minute rejetée sur le sable comme une poupée de chiffon. Elle prendra ensuite le temps de se remettre de ses émotions, et trouvera les ressources de repartir de plus belle et d'être la seule fille de la journée à effectuer quelques allers-retours dans cet océan en furie.


Voici maintenant Jacques et Christophe qui se mettent à l'eau ! J'ai l'oeil rivé sur eux dans le viseur de ma caméra, et après un passage de barre en règle, les voici qui tracent leur route vers le large.


Christophe est un peu sur la défensive car il ride un flotteur très léger, mais qui ne le serait pas dans ces conditions. Jacques est lui sur une bonne vieille Tiga Wave 250 en extrudé-soufflé donc plus lourde, et comme à son habitude, c'est une pile électrique ! High jumps tel le Dunky à Pozo, backloop à la Polakow dans la zone d'impact (!), on se demande dans quel état il va rentrer et je me concentre pour ne rien rater des évolutions du jeune homme. Celui-ci s'éloigne maintenant vers le large et l'on doit bien se rendre à l'évidence, il est en mode slalom, traçant son chemin full speed tel Antoine Albeau, en direction de l'Angleterre et à plus de 2 kilomètres des côtes... 


Nous commençons tous à nous faire du souci pour lui, et tout à coup, cela ne rate pas : il croise le chemin d'une gigantesque déferlante et tire de toutes ses forces sur son whisbone pour monter le plus haut possible ! Vue de la plage, la scène est ahurissante, avec un Jacques à environ 12 mètres de haut, et qui lâche prestement son matos car la réception : ça ne va pas le faire ! Sa planche et son gréement s'envolent à bonne distance dans une rafale à plus de 40 noeuds, et tout le monde se demande bien comment il va pouvoir faire pour les récupérer.

Plus personne n'ouvre la bouche dans le club, et au moment où nous nous apprêtons à téléphoner aux secours (mais qu'auraient-t-ils bien pu faire dans ces conditions ?), c'est avec un soulagement non dissimulé que nous voyons apparaître la tête de mât de notre fou furieux entre deux crêtes : ouf !


Une demi-heure plus tard, notre Jacques national fait irruption dans le local le sourire aux lèvre et nous gratifie la mine radieuse d'un " Vous avez vu mon saut les gars ??? "...

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