samedi 24 janvier 2015

Préface (2021)


Que l'on soit surfeur, windsurfeur ou SUPsurfeur, nous avons tous en mémoire des sessions magiques et des anecdotes croustillantes récoltées sur son home spot ou bien à l'autre bout du monde...

Alors après plus de 35 années passées à parcourir la planète à la recherche de la houle et  à écrire des articles pour divers magazines consacrés aux sports de glisse, il était temps pour moi de rédiger quelques ''Vagues Souvenirs'' !

Vous trouverez donc ci-dessous 30 récits provenant des spots de Normandie, de France ou d'ailleurs, sur lesquels j'ai pu profiter du swell, que ce soit sur une planche de surf, de windsurf ou de SUP. Ce livre est dédié à tous les rideurs, amis, anonymes ou champions, que j'ai eu la chance d'y côtoyer et toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est donc tout sauf une pure coïncidence ! 

Bonne lecture, à l'ombre d'un palmier sur la plage ou confortablement installé près d'un feu de cheminée... après une bonne session bien sûr !

Fabrice Scolan

NB: La réalisation de cet ouvrage est à but non lucratif. Si vous avez passé un agréable moment lors de sa lecture gratuite, je vous remercie de faire un don même modeste à une association caritative ou reconnue d'utilité publique comme par exemple la Surfrider Foundation Europe, la Ligue contre le Cancer, la Fédération Française de Cardiologie, les Restaurants du Coeur, etc.

1) Sacré Robert ! (2021)


Plage d'El Médano, Ténérife, Canaries, juillet 1995, 11 h 45.

La caravane du World Tour vient de poser ses valises sur le spot d'El Médano au sud de l'île. Depuis une semaine, les conditions sont excellentes. Le vent side légèrement  onshore oscille tous les jours entre 20 et 30 noeuds, et les vagues rentrent à un bon mètre cinquante. Les compétiteurs engagés s'activent sévèrement dans le parc coureur en vue de l'épreuve des Vagues ! Josh Angulo prépare du mastic epoxy à prise rapide afin de boucher au plus vite une grosse fissure sur le nose de sa nouvelle planche au shape novateur de type fish. Josh Stone, lui, est confronté à un choix cornélien. Il hésite entre trois tailles de voile pour aller s'échauffer à grands coups de forwards bien verticaux : 4.7, 5.0 ou 5.3 ? Après 15 bonnes minutes de réflexion et quelques allers-retours entre la tente contenant son matériel et la plage, il optera finalement pour sa 5 m² Neil Pryde Combat : la vie de rider professionnel n'est pas facile tous les jours mon bon monsieur !

Le tirage au sort n'a pas été tendre avec Patrice Belbeoch et Robert Téritéhau. Les deux français vont devoir s'affronter dans un duel fratricide d'ici une demi-heure en huitième de finale, et plutôt que de retourner jouer sur la jolie petite vague qui déferle à proximité de la digue du port et qui autorise de bons surfs frontside, je décide de m'assoir sur un rocher pour assister à ce heat. Les deux hommes ont tout à perdre dans cette manche, et chez Robert, la tension est palpable. En bon breton fier comme du granit, Patrice ne laisse rien transparaître concernant son stress mais cela semble bouillonner aussi pas mal à l'intérieur...

Coup de trompe et top départ pour les deux rideurs qui s'élancent de concert vers le large pour y envoyer leur première rotation. La manche est plutôt équilibrée. Robert saute sur tout ce qui bouge, envoie du late front loop à tous les étages et un très beau table top one hand mais il néglige un peu ses surfs fronside. Il faut dire que réussir un aérial off the lip sur ce spot est loin d'être évident, car le vent est un peu on shore et les vagues parfois de travers. Alors notre Calédonien de service en rajoute une couche en rentrant un 360° voile + flotteur sur la vague, et plusieurs duck jibes très appuyés dans l'inside. En saut, le grand Belbe est moins impressionnant que d'habitude, et bien qu'il retombe toujours sur ses pattes comme un chat, ses réceptions de backloop ne sont pas aussi parfaites que sur son home spot de la Palue sur la presqu'île de Crozon. A l'image d'un Robby Naish toujours armé de sa Gaastra rose fétiche et d'un bon vieux custom en polyester shapé par Harold Iggy, il est par contre beaucoup plus consistant en surf, choisissant avec application le moment où l'épaule va s'effondrer pour y effectuer plusieurs cutbacks successifs qui vont faire la différence auprès des juges...

Tableau d'affichage de la World Cup, 13 h 05.

Le verdict tombe enfin. And the winner is ...Patrice Belbeoch ! Celui-ci est franchement désolé pour Robert et il le félicite néanmoins pour sa belle prestation. Le Caldoche est défait, les larmes aux bords des yeux, et une fois le breton parti, il laisse exploser sa colère et sa déception. Il bouscule violemment une chaise et comme j'ai le malheur de traîner près du panneau des résultats, il me prend à parti.

- Robert T : '' Purée, c'est pas vrai, tu as bien vu la manche quand même, comment se fait-il que j'ai perdu ? J'ai été bien meilleur que Patrice en saut !''

- moi : '' Oui, oui, Robert, pas de problème de ce côté-là. Tu étais plus tonique, plus aérien. Par contre, tu as manqué de consistance en surf et attrapé de moins bonnes vagues aussi, alors c'est sûrement cela qui a fait la différence ! ''

Bob le Cascadeur, celui qui sortit du bassin de l'Indoor de Paris-Bercy en sautant full speed par dessus le rebord, ou encore le téméraire qui fut le premier à taper des aérials à Jaws sur des vagues de 8 mètres, a l'air moyennement convaincu par ma réponse ! La mine renfrognée, il se lance dans une dernière tirade, le dos collé au panneau au tableau d'affichage :

 - Robert T : '' Ouais... Et en transition, j'étais bien meilleur aussi ! ''.

Je blêmis  un peu et me fends d'un discret '' Oui Robert, oui. Bien sûr... '' bien peu convaincant. Il me faut vous dire que Robert est parfois un peu tête en l'air et que derrière lui, une règle de course affichée par le comité d'organisation stipule en toutes lettres que :

 " ATTENTION, POUR L' EPREUVE DES VAGUES, LES TRANSITIONS NE SERONT PAS PRISES EN COMPTE. "

Je n'ai jamais osé le lui dire, et notre néo-calédonien national s'en est allé furieux !

3) Jumping Jack. (2021)


Les Sables d'Olonne, Vendée, France, avril 1990, 11 h 25.

Ce sont des conditions inhabituelles qui agitent aujourd'hui la baie des Sables. Le spot est en effet réputé par vent de nord-ouest, avec de bonnes vagues rondes et puissantes mais qui ont tendance à fermer un peu. Rien de tout cela en cette douce journée de printemps ! Il y a un bon force 7 de sud-sud-est, side shore bâbord, et comme c'est le début de la dépression, de beaux trains de houle viennent s'effondrer en bord de plage.


Les plus belles séries montent à jusqu'à 3 mètres, et surtout, les vagues ouvrent très correctement, autorisant de longs surfs frontside avec sur la dernière section un aérial à la clé pour les plus téméraires. Jacques Pétry fait partie de ceux-là. Armé de sa Gaastra Wavefoil Pro 4.1 m² et d'un minuscule custom Tabou shapé sur mesure par Fabien Wollenveider, le voici qui charge avec détermination les épaules les plus massives, et n'hésite pas à envoyer de grosses manoeuvres sur la lèvre, avec une gerbe d'eau bien visible à l'appui. Avec ma Art Wave 4.1 m² coupée par Monty Spindler et sur la Kriss Custom 2.40 m que me prête Christian Meunier afin de faire la promotion de sa marque, j'essaie de suivre tant bien que mal le rythme d'enfer imposé par l'animal mais " Surfing Jack " est vraiment déchaîné. Je finis par casser mon mât après avoir voulu faire le malin lors d'un off the lip re-entry de dernière minute sur une épaule plus imposante que les autres...


Pendant que je regrée à la hâte ma voile sur un espar de rechange, j'aperçois notre athlète posant un aérial off the lip d'extra-terrestre. Ce type est vraiment une boule d'énergie ! Cela me rappelle notre jeunesse et un windsurf-trip à Siouville où Jacques, âgé alors de 16 ans, s'était fâché avec ses amis. Il avait alors dormi sur la plage sous sa voile plutôt que dans leur tente. Cela ne l'avait pas empêché d'être d'attaque dès le lendemain matin 7 h 30, et de naviguer ensuite comme un furieux pendant une grande partie de la journée !


Vers 16 h 00, après plus de 4 heures de navigations dans des conditions toujours aussi musclées, nous rentrons chez les parents de Jacques, lesquels ont la gentillesse de nous accueillir chez eux afin de profiter au mieux des 3 journées de vent prévues. Avec Christophe Colomer, le partenaire de tandem de Jacques sur les épreuves de vitesse, nous nous apprêtons à nous écrouler chacun dans un fauteuil après avoir englouti un goûter plus que copieux et des litres de Coca-Cola. Jacques, lui, est en pleine forme. Il se lève tout à coup, scrute avec envie l'Océan par la fenêtre de la salle à manger puis nous gratifie d'un très sérieux " On y retourne ??? ".


Blonville, Calvados, France, octobre 1993, 12 h 45.


C'est la tempête en ce weekend d'automne. Un bon force 8 souffle de l'ouest-sud-ouest, et la mer est blanche et démontée. Les vagues déferlent partout, même en pleine mer : des lames vraiment impressionnantes, et dont la crête est balayée par un souffle infernal. Pourtant, un petit groupe de waverideurs s'est donné rendez-vous au centre nautique pour tenter une sortie dans ces conditions dantesques.


Il y a là les passionnés frères Puglisi, Jacques et son amie Caroline, Christophe Colomer, bien décidé à sortir sur sa Tabou fétiche bien adaptée de par son shape à ce genre de conditions, et quelques autres membres venus en spectateurs. Handicapé par une entorse à la cheville, j'ai là une excuse toute trouvée pour ne pas avoir à affronter cette mer en furie, et je me suis donc équipé de ma caméra pour mettre tout ce joli petit monde dans la boîte.


C'est Raphaël Puglisi qui se jette à l'eau en premier, armé d'une Coppello de 2 m 65 et d'une ART Wave de 4 m² pour le moins étarquée au point d'amure... Il passe avec dextérité les premières mousses puis, à la faveur d'une accalmie, arrive à gagner le large, où les séries sont pour le moins impressionnantes. Je me répète, mais encore une fois, cela déferle même en pleine mer ! Et le danger dans ce genre de situation, c'est de se faire brasser par une énorme vague, perdre son matériel, et devoir revenir à la nage dans un océan déchaîné sur des centaines de mètres voire des kilomètres. Raphaël l'a bien compris, et il multiplie les allers-retours en restant prudemment à un jet de pierre de la côte.


Il est bientôt rejoint par ses deux frères, Sébastien et Philippe, qui réussissent eux aussi à passer l'énorme barre pour aller faire monter l'adrénaline au large.


Caroline n'aura pas cette chance. Happée par une énorme déferlante de la taille d'un mât, elle se retrouve en moins d'une minute rejetée sur le sable comme une poupée de chiffon. Elle prendra ensuite le temps de se remettre de ses émotions, et trouvera les ressources de repartir de plus belle et d'être la seule fille de la journée à effectuer quelques allers-retours dans cet océan en furie.


Voici maintenant Jacques et Christophe qui se mettent à l'eau ! J'ai l'oeil rivé sur eux dans le viseur de ma caméra, et après un passage de barre en règle, les voici qui tracent leur route vers le large.


Christophe est un peu sur la défensive car il ride un flotteur très léger, mais qui ne le serait pas dans ces conditions. Jacques est lui sur une bonne vieille Tiga Wave 250 en extrudé-soufflé donc plus lourde, et comme à son habitude, c'est une pile électrique ! High jumps tel le Dunky à Pozo, backloop à la Polakow dans la zone d'impact (!), on se demande dans quel état il va rentrer et je me concentre pour ne rien rater des évolutions du jeune homme. Celui-ci s'éloigne maintenant vers le large et l'on doit bien se rendre à l'évidence, il est en mode slalom, traçant son chemin full speed tel Antoine Albeau, en direction de l'Angleterre et à plus de 2 kilomètres des côtes... 


Nous commençons tous à nous faire du souci pour lui, et tout à coup, cela ne rate pas : il croise le chemin d'une gigantesque déferlante et tire de toutes ses forces sur son whisbone pour monter le plus haut possible ! Vue de la plage, la scène est ahurissante, avec un Jacques à environ 12 mètres de haut, et qui lâche prestement son matos car la réception : ça ne va pas le faire ! Sa planche et son gréement s'envolent à bonne distance dans une rafale à plus de 40 noeuds, et tout le monde se demande bien comment il va pouvoir faire pour les récupérer.

Plus personne n'ouvre la bouche dans le club, et au moment où nous nous apprêtons à téléphoner aux secours (mais qu'auraient-t-ils bien pu faire dans ces conditions ?), c'est avec un soulagement non dissimulé que nous voyons apparaître la tête de mât de notre fou furieux entre deux crêtes : ouf !


Une demi-heure plus tard, notre Jacques national fait irruption dans le local le sourire aux lèvre et nous gratifie la mine radieuse d'un " Vous avez vu mon saut les gars ??? "...

2) Le roi du lightwind. (2021)


Blonville, Calvados, France, octobre 2008, 14 h 00.

Fabrice Beaux est de passage dans la région. Il vient rendre visite à ses amis François Briard et Jean-Antoine Souyris, qui sont aussi ses sponsors pour la marque de surfwear Northmen. Pour ceux d'entre-vous qui ne connaissent pas le jeune homme, Fabrice est l'un de nos meilleurs rideurs français en vagues : il se classe régulièrement dans le top ten lors des épreuves de windsurf organisées dans l'archipel hawaïen où il réside une bonne partie de l'année. Aujourd'hui, les conditions sont prévues modérées par Windguru, avec un vent d'ouest-sud-ouest de l'ordre de 15 à 20 noeuds, et peu de houle significative. Les vagues risquent de manquer de consistance, mais avec Fabrice, nous nous sommes quand même donné rendez-vous au centre nautique de Blonville sur mer.

J'y arrive en début début d'après-midi équipé d'un flotteur Freewave de 95 litres et de voiles dont la surface est comprise entre 5 et 6 m². Je suis d'humeur à faire de la planche à voile aujourd'hui et comme les branches des arbres de mon jardin s'agitent très correctement, j'ai laissé le SUP dans le garage... Fatale erreur ! Après une demi-heure de navigation au planing, le vent tombe à 8-10 noeuds, nous octroyant encore la force de passer la barre les pieds dans l'eau puis d'attraper quelques séries que nous surfons frontside. Encore un petit quart d'heure de ce régime, et le vent perd définitivement en puissance pour finalement se stabiliser à 6-8 noeuds. Les vagues, elles, se mettent subitement à grossir pour atteindre un joli mètre vingt. C'est le moment que choisit Fabrice pour nous rejoindre sur le spot.

Après les salutations d'usage, celui-ci me montre ses toutes nouvelles RRD Twinser Wave de 76 et 84 litres. Après des années d'utilisation d'un single ou d'un thruster dans les vagues, c'est en ce moment la révolution sur tous les spots de la planète. Beaucoup de rideurs ne jurent plus que par ces planches munies de 2 ailerons. Kauli Seadi a été le premier professionnel à remettre à l'ordre du jour cette configuration de dérives sur ses prototypes JP Australia shapés par Keith Teboul. L'avantage est de pouvoir augmenter le nombre de virages sur l'épaule de la vague tout en restant plus facilement au coeur de celle-ci. Vu les conditions, ce n'est pas aujourd'hui que l'on va pouvoir profiter de cette avancée technologique et plutôt que de rester à regarder la mer assis sur la digue, je propose à Fabrice de lui prêter un surf. '' Non merci, mais ne t'inquiètes pas, je vais aller visser mes footstraps sur mes 2 planches puis tenter d'attraper quelques vagues !'', voilà pour sa réponse. Et tandis que je me dirige vers le line up en ramant sur ma 10 pieds Bob Pearson, je pense en mon fort intérieur qu'il ne va pas tarder à revenir rapidement sur sa décision après sa séance de bricolage... 

Les séries sont plutôt sympathiques à rider en longboard car elles ouvrent correctement en gauche, et après quinze minutes de glisse, j'aperçois tout à coup Fabrice qui s'avance sur la plage armé de sa 84 litres et d'une 5.2 Neil Pryde... Zone ! Mise au point par Jason Polakow et Robert Stroj, c'est la voile la moins puissante de la marque, connue pour sa grande finesse et ses aptitudes à se faire oublier au surf down the line dans de solides conditions... Tout le contraire d'aujourd'hui, ce qui n'empêche pas notre hawaïen de service de rejoindre le pic en deux coups de cuillère à pot puis de commencer son festival ! Dans un souffle asthmatique, il arrive en jouant les équilibristes, à se placer sur la plus grosse vague de la série puis à suffisamment lofer pour regagner le terrain perdu pendant  le passage de la barre. Arrivé dans la zone d'impact, il abat alors plein largue sur l'épaule, de manière à générer le maximum de vitesse, puis s'en va taper 2 ou 3 rollers de belle facture. Grâce à sa technique affûtée dans le petit temps et maintenant la petite taille de ses 2 ailerons, ses prises de carre sont très appuyées lors du bottom turn, et il nous gratifie en plus de jolis slashs en fin de off the lip. Gaël Pilastre, l'un des responsables du club, profite de l'occasion pour sortir son appareil photo après avoir rangé son aile et sa planche de kitesurf. L'un de ses clichés aura les faveurs de la presse spécialisée et paraîtra  dans Wind Magazine.

16 h 45, même endroit.

Il est temps de ranger mon matériel et de filer chercher ma fille Agathe à l'école primaire. En faisant demi-tour sur la digue, je constate que le vent a repris des tours et qu'il souffle maintenant à 12-15 noeuds. Fabrice est au taquet au surf, et ma dernière image de lui est un aérial off the lip à plus d'1 m 50 au dessus de la vague, après une impulsion digne d'un gymnaste sur un trampoline ! Oui, décidément, le garçon est vraiment très doué dans le lightwind...

4) Les cerfs. (2021)


Caen, Calvados, France, mai 2008, 12 h 30.

Cela bouchonne un peu aujourd'hui sur le périphérique caennais, surtout après avoir franchi le viaduc de Calix en direction du C.H.U. Avec Jean-Antoine Souyris, nous voici sur la route du Cotentin pour, normalement, une bonne session de surf pour lui et de SUP pour moi. Un bel anticyclone est calé sur la Normandie, tandis qu'une solide dépression passe au large des îles britanniques. Windguru annonce une houle d'ouest-sud-ouest d'un mètre quatre-vingt avec une période de 10 secondes, du soleil, un vent faible d'est-nord-est off shore, avec en prime des températures estivales. Tous les indicateurs sont donc au vert pour un petit trip dans la Hague !

Pendant que je surveille dans mon rétroviseur les véhicules qui déboîtent et que Chris Réa nous emplit les oreilles de son titre bien nommé ''Sweet summer day'', je me demande bien à quel endroit va se dérouler notre session. Vauville, Biville, Siouville, Sciotot,  ou encore le Rozel ? Bien qu'ils aient chacun leurs spécificités, les spots ne manquent pas sur la côte ouest du Cotentin. ''Tu verras bien ! '' m'a dit en souriant Jean-Antoine, ''mais là où je t'emmène, nous serons tranquilles ! On pourrait baptiser le spot ''les Cerfs'' ''. Bizarre, bizarre. A part quelques lapins ou bien des chevaux que l'on croise occasionnellement dans la lande derrière les dunes, je n'y ai jamais vu de biches et autres cervidés, lesquels préfèrent normalement l'intérieur des terres et les sous-bois...

Surtainville, Manche, France, même jour, 14 h 00.

J'ai roulé en respectant les panneaux de signalisation routière afin de ne pas me faire flasher par les radars qui sont régulièrement installés aux alentours de Bayeux et de Carentan par la Gendarmerie Nationale sur la RN 13. Je n'ai pas l'intention de me voir infliger une amende pour excès de vitesse, de perdre des points sur mon permis, et encore moins de faire la connaissance du colonel Martin qui n'est pas un tendre avec les conducteurs en infraction !

Nous voici maintenant arrivé à Surtainville, où le Cotentin Surf Club organise une étape de la Coupe de Normandie de Surf. Qu'est-ce que c'est que ce traquenard ? Jas me rassure tout de suite. Nous sommes en mode freesurf aujourd'hui, et plutôt que de remonter au nord de la baie vers le site de la compétition, nous empruntons en direction du sud un dédale de petites routes qui finissent par nous conduire à un chemin traversant la dune. Pas évident à trouver, mais effectivement isolé ! Les vagues sont bien là et Jean-Antoine se précipite comme à son habitude le premier au pic comme un mort de faim. C'est plus gros et plus puissant qu'il n'y parait vu du parking, et comme il n'y a pas de channel, je passe de longues minutes à ramer dans les mousses avant de réussir à gagner le large...

Premier take off sur une bonne épaule en droite et là, c'est Backdoor ! Les vagues ne font qu'1 m 50 mais elles ont une énergie phénoménale, avec en prime un bowl bien creux dans l'inside. Dans ce genre de conditions, il n'est pas pas question d'appuyer ses cutbacks. Il faut sans cesse accélérer à la limite du tube, et laisser filer la board pour ne pas se faire enfermer. Goofy, Jas est plus prudent que moi lors de ses drops mais néanmoins très efficace une fois lancé sur la vague sur son custom Al Merrick.

Après une bonne demi-heure passée à shooter de belles séries, arrive ce qui devait arriver ! Late take off mal maîtrisé et me voilà parti pour un tour de machine à laver... J'utilise une Naish Nalu 10'6 par 28'', une longueur appréciable pour démarrer loin au large derrière la zone d'impact avec une relative sérénité, et d'habitude, cela tire un peu sur le pied arrière au niveau de l'attache du leash dans ce genre de situation. Rien à voir cependant avec la forte traction exercée par une planche comme la Gong NFA 12' ou l'Oxbow 11' Cruiser. Mais aujourd'hui, je me fais traîner plusieurs fois sous l'eau sur plus d'une dizaine de mètres, et mon leash aura quasiment doublé de longueur à l'issue de cette session ! 

Les vagues grossissent de plus en plus et tout au loin, nous apercevons la tente des juges qui officient pour la compète de l'année en Normandie. Les coureurs doivent s'en donner à coeur joie dans ces conditions musclées : on distingue parfois une silhouette qui vient frapper la lèvre dans un off the lip rageur, ou une autre qui s'envole en kick-out suicidaire par dessus l'épaule. Avec la marée descendante et après 3 heures de rides non-stop, nous terminons cette belle session en douceur sur une jolie petite gauche un peu plus au nord. En remontant sur le sable sec déjà chaud pour la saison, en face d'un arbuste qui parait être le seul à résister au fort vent d'ouest qui souffle constamment ici en hiver, je demande à nouveau à Jean-Antoine pourquoi il a ainsi dénommé le spot. '' Quoi ? Mais ne me dis pas que tu n'as pas vu !!! ''.

Non, effectivement, je n'ai rien vu lors de notre arrivée, trop impatient comme nous le sommes souvent de goûter une nouvelle fois aux plaisirs de l'Océan et d'en découdre avec les séries. Mais en quittant le spot, j' ai bien fait attention cette fois-ci à ces grands bâtiments de verre et d'acier  implantés sur le bord de la route : des serres pour la culture des légumes !!!

5) Lucky Luc. (2021)


Païa, Maui, Hawaii, août 1992,5 h 30.

Cela fait quelques jours que je suis arrivé dans l'archipel hawaïen et encore sous l'effet du jetlag, je me réveille très tôt le matin. Je loge comme d'habitude au ''360°'', une grande maison partagée en plusieurs appartements. Elle appartient à Hank Roberts, un vieil homme très sympathique toujours prêt à rendre service. C'est aussi un écologiste convaincu : hier, il n'a pas hésité à faire le tour de l'île au volant de sa Toyota pour aller soigner une tortue blessée et l'aider à regagner l'Océan.

Plutôt que de tourner en rond dans ma chambre, je décide de faire une balade et de prendre mon petit déjeuner dans les environs de la plage d'Hookipa. J'estime qu'il est trop tôt pour une session de surf, mais mes deux voisins texans ne sont manifestement pas de cet avis : je les surprends en train de sangler fiévreusement leurs planches sur le toit de leur break Chevrolet ! Je saute  alors moi aussi dans mon pick-up et sous les premiers rayons du soleil, me voici en train de serpenter le long de la route côtière menant à la plage d'Hookipa Beach Park.

Une fois sur place, je m'installe avec jus d'orange et pancakes sur la célèbre butte surplombant les ''rocks''. Il n'y a personne pour l'instant, mais dans quelques heures, il y aura ici de nombreux photographes armés de téléobjectifs dernier cri, et à l'affût d'un high backloop de Robby Naish ou d'un off the lip appuyé de Mark Angulo ! Dans le lagon, deux raies se promènent de concert, tandis qu'au large, un banc d'au moins 150 dauphins (j'ai compté !) s'amusent à jouer à saute-mouton : dis-donc, il y a de la faune par ici...

Même jour, Hookipa, 14 h 30.

L'alizé de nord-est souffle à 25 noeuds, et les vagues font un joli mètre cinquante, des conditions idéales pour envoyer de bons rollers sur le flotteur que je viens de racheter à Phil Mac Gain. C'est un peu la cohue sur certaines séries, mais quel plaisir de partager la session avec des planchistes locaux comme Robby Seeger, toujours très cool et souriant, ou encore le jeune Franscisco Goya, 14 ans, un minot qui promet...

Alors que je termine un hélicopter tack dans le lagon et que je m'apprête à repartir vers le large, un rideur complètement surexcité me frôle à pleine vitesse en hurlant ''Shark ! Shark!''. J'avoue croire un instant à une mauvaise blague mais on ne sait jamais, restons calme, un petit sinker jibe tout en douceur... et direction la plage ! J'y retrouve notre windsurfer, les yeux exorbités, et tremblant comme une feuille. C'est un français vivant en Californie et ce que vient de vivre Luc tient tout simplement du miracle...

Il s'en est allé faire une petite virée au large, très au large, à tel point qu'il distinguait à peine les voiles des funboarders évoluant en bord de plage. Il est tombé au jibe puis s'est dit qu'il allait en profiter pour régler le velcro de l'un de ses footstraps, ce qui prend un peu de temps. Il s'est ensuite détendu quelques instants en se baignant tranquillement à côté de son flotteur et c'est là que l'impensable s'est produit. Il a senti une créature marine le soulever hors de l'eau mais sur l'instant, il n'a pas paniqué car pratiquant couramment la plongée, il est habitué à rencontrer des dauphins et à jouer avec eux. C'est lorsque qu'il a vu passer une nageoire dorsale de près d'un mètre de haut qu'il a compris qu'il était temps de déguerpir !

Sa description de la bête laisse peu de place au doute : dos gris, avec des zébrures noires, c'est très probablement un requin tigre, un redoutable prédateur responsable de plusieurs attaques fatales sur les surfeurs des îles d'Oahu ou de Kawaii, et plus récemment d'une nageuse sur la côte sud de Maui. Et c'est manifestement un gros spécimen au vu des dimensions de l'aileron...

Luc est sous le choc et après s'être un peu remis de ses émotions, il décide sagement de plier bagages. Lorsqu'il s'est retourné pour marcher en direction du parking, nous avons remarqué qu'il avait eu le mollet droit complètement râpé par la peau du squale, une véritable toile émeri aux dires des spécialistes. Dans la soirée, en discutant avec l'un des vendeurs du shop de Doug Hunt, l'inventeur du barrel roll, j'apprendrais que les spectateurs présents sur la butte d'Hookipa ont observé des ailerons de bonne taille croisant derrière la barre dans l'après-midi.

Depuis ce jour, je jibe toujours au maximum sur la dernière vague de la série en zone tropicale!

6) A l'aube du quatrième jour. (2021)


Aéroport de Puerto del Rosario, Fuerteventura, Canaries, 15 h 40.

Depuis quelques années, j'ai pour habitude de venir naviguer une quinzaine de jours en été aux environs de Corralejo. C'est la bonne période pour le vent, l'alizé de nord-est soufflant en général entre 15 et 25 noeuds, et même si c'est parfois un peu la roulette russe pour choisir le bon spot, il y a souvent de quoi faire de la vague sur les plages de Cotillo, Punta Preta ou d'El Burro.

Cette dernière est plus connue sous le nom de Glass Beach et lorsque celle-ci daigne fonctionner, on y windsurfe de très belles gauches glassy qui s'enroulent régulièrement sur un reef de lave un peu aggressif. Peu de sauts sur cette plage où le vent rentre side off shore bâbord mais des surfs frontside d'excellente qualité, à faire pâlir un hawaien bon teint sur des séries qui excèdent malheureusement rarement les deux mètres.

Dès notre descente de l'avion, Emmanuel Baudon et moi avons bien senti que quelque chose n'allait pas... Le vent souffle certes à 25 noeuds mais il est orienté plein est ! La houle qui se forme entre le continent africain et l'archipel des Canaries est donc très grosse mais aussi très désordonnée, et en longeant la route côtière pour rejoindre nos futurs appartements, nous sommes d'accord : il va y avoir une sacré bonne navigation à effectuer lorsque l'alizé va reprendre sa direction habituelle...

Glass Beach, 92 heures plus tard, 7 h 45.

Cela fait 3 jours que nous sommes arrivés et après avoir récupéré du matériel de location chez Ben Thomas, un ancien coureur du World Tour qui tient une boutique sur la plage de Flag Beach, on a du se contenter jusqu'à présent de sessions de ''bump and jump'' pas très enthousiasmantes et sur des spots abrités. Mais aujourd'hui, c'est le grand jour !

Le vent est repassé au nord-est, souffle à 20 noeuds et la houle est toujours bien présente sur le spot d'El Burro. De magnifiques séries rentrent à un bon 3 mètres voire high mast pour les plus belles et pour ne rien gâcher à la fête, la marée est haute : les vagues déroulent donc à la perfection. En plus, il n'y pas l'ombre d'un windsurfeur sur la plage, et donc pas de problème pour se garer dans les magnifiques dunes de sable blanc le long de la route. En 5 minutes, nos deux 5.3 m² North Wave sont grées et montées sur nos flotteurs Fanatic Wave Goya, et c'est le top départ pour une session magique !

Sur le bord aller aujourd'hui, nous sommes au planing même dans l'inside, ce qui est suffisamment rare sur ce spot pour être signalé. Ensuite, il suffit de contourner la barre pour aller se placer tranquillement au pic. Un petit bord en lofant sur l'épaule pour bien se placer puis retour vers le rivage en visant soigneusement le monticule de pierre de lave situé sur la pointe. Et lorsque l'on sent la vague gonfler sous sa carène, en avant pour une succession de rollers plus étourdissants les uns que les autres. On se croirait en Indonésie ou sur un grand 8 ! Il est possible de la jouer cool, en restant à bonne  distance de l' épaule, ou bien de faire le malin et envoyer l'aérial sur des lèvres velues en choisissant les bonnes sections, celles qui ne ferment pas trop et d'où l'on sortira normalement indemne en cas de mauvaise réception ! Les conditions sont vraiment au top et pourtant, après un quart d'heure de navigation, je vois le Manu qui rentre en trombe vers la plage, enfourne son flotteur dans son véhicule et file comme un dératé en direction de Corralejo. Quelle mouche l'a donc piqué, sachant que sa voile est restée sur la plage ?

Je le vois revenir 10 minutes plus tard, après avoir troqué auprès de Ben son flotteur de 81 litres contre un autre plus maniable de 74 litres. Comme il le dit lui-même, ''C'est de la folie!''. Après trois heures de ce régime infernal et des dizaines de vagues lacérées mais aussi quelques sacrées bons wipe out dans la mousse, nous nous écroulons fourbus sur la plage, alors que les vagues perdent en taille et en puissance avec la marée descendante et que l'alizé commence à présenter des signes de faiblesse. Retour au bercail pour un déjeuner pantagruélique en compagnie de femmes et enfants, lesquels ne comprennent pas bien pourquoi nous engloutissons toute cette nourriture avec un sourire béât...

Après une petite sieste réparatrice, nous sommes repassés dans l'après-midi revoir le spot de Glass Beach. Certes, cela fonctionnait toujours très bien, mais cela n'avait pas la saveur de la matinée. C'était la cohue sur certaines séries, entre les touristes allemands munis d'une grosse planche de type FreeWave peu maniable, des planchistes italiens hurlant pour essayer de taxer une ou deux vagues, et les rideurs locaux comme Stéphane Etienne ou encore le très doué Alex Mussolini qui essayaient de charger sévèrement au beau milieu de tout ce petit monde...

Aujourd'hui encore, j'ai toujours dans les jambes les sensations uniques ressenties pendant les bottom turns lors de cette session d'anthologie !